Je ne me souviens pas avoir rêvé, jeune, de vivre à Paris. En réalité, je ne me souviens pas vraiment m'être projetée dans un quelconque avenir, qu'il soit professionnel ou géographique. Je crois que ma crainte absolue était de ne pas rencontrer l'amour. Peut-être aussi de rater mon bac. Surtout, de l'âge de 7 ans à... tard, j'étais convaincue que j'allais mourir jeune. Persuadée que je n'aurais jamais 18 ans. Puis 20. Puis 25. Sans que je m'en rende compte, cette peur là s'est en allée. Mais elle a été tellement envahissante durant toutes ces années que j'en ai oublié de penser au reste.
Je me suis donc laissée porter par les événements, surprise anniversaire après anniversaire d'être toujours là. A 19 ans, j'ai néanmoins pris ma première vraie décision: aller vivre à Grenoble. Cela dit, je serais bien incapable d'expliquer pourquoi. Le choix de mes études, Sciences Po, relève à peu près du même hasard, disons que mon amie Maud avait pris les devants l'année d'avant, que je l'admirais et qu'elle semblait très enthousiaste. Alors pourquoi pas, j'étais littéraire mais ne souhaitais pas devenir prof de lettres, j'aimais l'actualité, écouter la radio, parler politique et ma seule certitude résidait dans mon envie d'écrire. Ce serait bien un monde si à Sciences Po on n'écrivait pas.
Et ça a continué comme ça, une fois l'IEP terminé sans tambour ni trompette - je fus le genre d'étudiante qui ne laissa aucun souvenir à quelque prof que ce soit, séchant les cours pour aller fumer des clopes dans les cafés et buchant les semaines précédant les partiels histoire d'obtenir la moyenne voire un peu plus -, j'ai à nouveau mis mes pas dans ceux de mon amie Maud et suis "montée à Paris", comme on dit à Lyon.
Pour ne plus en repartir.
Pas en raison d'un coup de foudre absolu pour la ville, ni d'une opportunité professionnelle extraordinaire. Encore cette propension à avancer sans autre but que de mettre un pied devant l'autre, qui m'a caractérisée jusque tard. Un stage entrainant un contrat d'apprentissage qui lui même débouche sur un CDI, petit à petit l'assurance qui me gagne, une certitude qui se fait de plus en plus prégnante: je suis journaliste, c'est ce qui me définit s'il faut d'ailleurs dans la vie se définir. Parrallèlement, l'amour qui tombe sur moi, l'évidence, l'installation avec le churros, les enfants, et nous voilà ici depuis 15 ans.
Bref, je n'ai pas choisi Paris et jusqu'à l'âge de 18 ans, je n'y avais jamais mis les pieds. La capitale m'évoquait vaguement ces cousins éloignés qui faisaient une halte à Lyon en février parce que c'était à mi-chemin sur la route de Briançon. Des cousins qui m'apparaissaient comme plus chics, plus étonnants, plus fun, plus tout, en somme, que nous. Mais leurs récits, loin de me donner envie, me donnaient l'image d'un endroit effrayant et hostile. Toute cette agitation, cette immensité, ce métro avec des dizaines de lignes, cette monstruosité que paraissait être le "PERIPH", ça n'était pas pour moi.
Aujourd'hui, l'ironie du sort veut que je sois pour ma famille lyonnaise la "parisienne", celle qui est partie dans ce maelstrom étourdissant qu'est Paname.
Pourtant, lorsque que je me retrouve, au hasard d'un week-end, dans un quartier un peu résidentiel, en lisière d'un centre ville, dans une de ces rues bordées d'habitations cossues mais pas trop, sans commerces ou si peu, je ressens douloureusement - sans être capable là encore d'expliquer le pourquoi de ce serrement au ventre - que je viens de là. De ces endroits qui ne sont ni ville ni campagne, où pas grand chose ne se passe parce qu'il n'y a pas grand chose à y voir, où les gens cachent jalousement leur intimité et l'hiver font des feux de cheminée, il me reste le souvenir diffus d'une enfance protégée.
Je pourrais écrire que ma seule envie, lorsque je marche dans ces rues trop calmes est de fuir pour regagner l'effervescence parisienne. Ce serait faux. Je me surprends au contraire souvent à imaginer la vie derrière les portails en fer forgé, avec un peu d'envie. Comme si dans ces endroits sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise, le danger n'existait pas. Je sais pourtant que c'est un leurre absolu, les murs, tout aussi épais soient-ils, sont perméables au malheur, ni plus ni moins que ceux plus fins des immeubles parisiens. Dans ces demeures aussi le stress a droit de cité, il prend seulement d'autres formes que dans le métro parisien.
Voilà les pensées qui ont traversé mon esprit ce week-end à Nantes, que je découvrais à l'occasion d'un court séjour chez des amis partis y vivre. Il y a dans certains quartiers de cette ville, des rues qui m'ont rappelé mon enfance vécue pourtant bien plus à l'est. C'est étrange d'éprouver cela dans un lieu où l'on n'a jamais mis les pieds.
Il y a aussi, j'ai trouvé, une énergie et un dynamisme communicatifs dans cette métropole à taille humaine. De nouveaux quartiers qui se construisent sur les bords de Loire, une lumière caractéristique des villes de l'ouest, des jeunes couples partout avec des marmots à la pelle. Il serait étonnant qu'on y vive un jour, mais c'est le genre d'endroit où je me suis sentie presque chez moi. Presque.
J'envie, je crois, ceux qui ont la certitude d'être au bon endroit.
Edit: Toutes mes confuses pour ce billet tordu et pas spécialement gai, on pourrait croire que mon enfance fut morose, c'est tout le contraire, j'ai toujours été consciente d'être privilégiée.
Edit2: Je vous laisse avec quelques photos de Nantes, gros coup de coeur pour le plus poétique des manège jamais vus, pour l'éléphant géant de la compagnie de rue Royal de luxe, mais aussi pour les saules pleureurs qui longent l'Erdre et le jardin des plantes qui resplendit en ce doux mois d'otobre. Je reviendrai à Nantes, merci Marie et Didier pour l'accueil aux petits oignons et des baisers à la jolie Lila...