Bon autant vous dire qu'après celui-ci, je fais une pause au niveau des bouquins qui racontent le deuil d'un enfant. Ce n'est pas que je n'aime pas, ne nous méprenons pas, mais on ne sort pas indemne de ces récits.
Je ne l'aurais pas acheté, je crois.
Il s'est trouvé que par un hasard comme la vie aime à en offrir parfois, j'ai croisé l'auteur brièvement il y a quelques jours. J'avais rendez-vous avec son éditeur et il en sortait.
On ne s'excite pas, cette entrevue ne signifie rien pour l'instant, une porte qui s'entrouvre à peine, on va dire que j'y ai mis le bout de ma chaussure pour qu'elle ne se referme pas mais on est loin du compte.
Mais le sujet n'est pas là.
J'ai croisé Michel Rostain, donc, et il y a fort à parier que si vous le lui disiez - qu'on s'est vus - il ne saurait pas de quoi ou qui vous lui parlez. Moi oui, évidemment, c'est à cela d'ailleurs qu'on voit que lui a plus que le pied dans le chambranle de la porte. Je l'ai remarqué, lui, sûrement pas. Je ne l'ai pas vraiment reconnu et pour cause, ce n'est pas une célébrité, je crois que c'est son premier livre. Mais il est de ces hommes dont l'extrème douceur laisse comme une empreinte dans la pièce qu'ils quittent. Il a un physique d'alpiniste, j'ai pensé. Ensuite, j'ai vu la pile de bouquins sur le bureau de l'éditeur, dont un était retourné, et il y avait sa photo. A ce moment là, précisément, on peut dire que je l'ai reconnu.
C'est donc lui qui a écrit "Le fils". Dont j'avais lu une critique élogieuse je ne sais plus où.
A la fin de mon très bref entretien, l'éditeur m'en a tendu un exemplaire: "vous vous êtes croisés à l'instant (j'ai pas dit que je savais, je ne voulais pas couper son effet) lisez-le, c'est de l'autofiction, un genre qui apparemment vous parle" (oui bon ben je lui avais comme qui dirait vendu ma soupe).
Je l'ai glissé dans mon sac et lundi, en revenant de Lyon, me faisant la réflexion que mon Mulberry-darling était bien lourd, je me suis rappelé qu'il était lesté du Fils.
Alors je me suis plongée dedans et le temps d'un Perrache - Gare de Lyon, j'avais la confirmation que cet homme était en effet une belle personne ET un écrivain.
Le temps aussi de verser toutes les larmes de mon corps (elles ne sont pas chères en ce moment, je confesse avoir pleuré comme une collégienne devant un téléfilm avec Lorie - oui - il y a trois jours ET en écoutant à la radio dans la voiture de mon père la descente de Jean-Baptiste Grange).
Michel Rostain avait un fils, donc, mort il y a six ans d'une méningite foudroyante à l'âge de 21 ans. Il raconte cette histoire, mais en se mettant à la place de Lion, le fils. Lion, donc, parle de la façon dont son père découvre que désormais, il pleurera tous les jours ou presque, plusieurs fois. Lion se moque de son père et l'admoneste gentiment quand ce dernier fouille dans la mémoire de son téléphone pour y lire les SMS qu'il envoyait à son amoureuse. Comme si ces quelques mots pouvaient l'aider à supporter l'insupportable. Lion décrit son enterrement épique, organisé par ses parents metteurs en scène tous deux. Lion fait le récit rocambolesque de la dispersion de ses cendres en Islande, dans le cratère de ce volcan au nom imprononçable qui, cinq ans après, paralysera le traffic aérien du monde entier, pour la plus grande joie de ses parents, convaincus que c'est un peu de lui qui jaillit dans le ciel.
Il y a des passages abominables, des descriptions à la limite de l'insoutenable du corps de Lion criblé de taches noires (la méningite fait exploser les vaisseaux sanguins). Et il y a des moments de grace, ou l'on rit avec Lion des délires de son père, de son extravagance dans le deuil. Je vous invite à le lire parce qu'au même titre que l'ouvrage d'Anne-Marie Revol, l'auteur fait passer un message essentiel: on peut vivre avec ça. Même si "ça" est affreux.
Aimez la vie, la vie est monstrueuse, dit Anne-Marie Revol. "Vive la vie", hurle Michel Rostain en sortant de la morgue.
Bonne journée.