Hier j'étais dans le métro. Dans mes écouteurs, une chanson de Daphné, « je suis un alligator et je marche... ». A Pont-Marie, une silhouette familière attire mon attention sur le quai d'en face. Grande et fine, blonde, cheveux bouclés, jean, cuir et bottes de motarde. Je la connais. Le temps de rassembler mes esprits, les portes de ma voiture se ferment. Nos regards se croisent. Ça me revient. C'est A. Elle me reconnaît aussi. On se sourit, exagérément, pour pallier l'absence de son. Je lis sur ses lèvres qu'elle me demande si ça va, j'acquiesce, « et toi ? ». J'envoie un baiser, elle me sourit encore, fort et je lui rends, fort aussi, tellement fort que j'en ai les larmes aux yeux. Le métro repart, nos mains s'agitent et c'est fini.
Je ne la reverrai sans doute jamais.
Dans le tunnel direction Chatelet, cette brève rencontre fait remonter les souvenirs. 2007, C., chère, très chère amie, mais trop de rancoeurs, trop de non-dits, trop de distance, son escapade pendant quatre ans à NY aura eu raison de notre complicité. Jusqu'au clash, un matin de janvier. La rupture, par mail, comme si cette amitié ne méritait pas mieux qu'un adieu sur msn. Les échanges de courriers acides et violents, parce que lorsqu'on s'est tant aimées, on ne peut que se haïr. Suivent les semaines à souffrir parce que je chérissais C. Qu'est-ce qui m'a pris, ces mots je ne les aurais jamais dits, connerie d'internet, prends ton téléphone connasse, bah et puis merde, pourquoi moi, j'ai mes raisons, elle aussi pourrait appeler.
Les mois à ruminer, donc, à ne pas y croire, à cette fin si peu glorieuse après tant de soirées à s'étrangler de rire, après l'avoir faite marraine de mes deux grands dans les trois secondes qui avaient suivi le jet de pipi sur le bâton bleu.
Et le dommage collatéral, A., autre meilleure amie de C. Approche interdite. Dans les divorces, qu'ils soient amicaux ou amoureux, chacun rassemble son armée, il y a des choses qui ne se font pas, on ne pactise pas avec l'autre camp, ce dernier ne nous eut-il rien fait, les ennemis de mes amis sont mes ennemis. Un code de conduite implicite, compris de tous, à sa place j'aurais fait pareil. Zéro rancoeur mais des regrets, on ne se connaissait pas tant que ça, mais il y avait de l'estime. On s'appréciait. Le mot est terne mais c'est celui qui me semble le plus adapté.
Quatre ans, donc, sans nouvelles et sans en attendre et puis ces dix secondes de sourire silencieux. Un sourire pour rien, sans espoir, le mal est fait, rien à sauver. Et en même temps, un sourire pour tout, qui disait que dans une autre vie... on s'appréciait.