Hier, une jeune fille m'a envoyé un mail pour me demander un conseil. Elle s'apprête à passer le concours du Celsa, pour devenir journaliste et s'inquiète de ne pas être assez grande gueule, or, m'explique-t-elle, lors de l'oral de "personnalité", il faut qu'elle soit capable de montrer de quel bois elle se chauffe.
D'où le mail.
Hélas, lui ai-je répondu, rien que de lire "oral de personnalité", je sens les prémisses de la crise d'angoisse. Je serais bien incapable personnellement de passer devant un quelconque jury pour défendre mon originalité, ma singularité ou ma pertinence. Je me transforme en lamantin dès que trois personnes ont pour mission de m'évaluer en direct.
J'ai beaucoup réfléchi ces derniers temps sur ce truc qui me saisit dès que je dois prendre la parole. Et j'ai compris une chose. Ce n'est pas le nombre de gens qui m'écoutent dans la salle qui comptent, ni même leur niveau intellectuel ou statut social. Le problème survient quand il s'agit de parler... de moi. Ah ça, écrire des tartines sur les aspects les plus privés voire embarrassants de ma vie, je sais faire. Et ça sans éprouver la moindre gêne à l'idée que certains des miens, voire des employeurs potentiels me lisent.
Mais quand vient mon tour de me présenter lors d'une réunion, je me liquéfie. Je dépasse en général ce malaise, mais ma gorge se serre immanquablement et quiconque me connait un peu s'aperçoit que je suis au bord de la panic attack..
En revanche, et je peux admettre que c'est un paradoxe, je n'éprouve quasiment aucune angoisse à l'idée d'interroger qui que ce soit. J'ai durant ces huit années dans mon agence de presse, interviewé des dizaines d'élus, de commissaires européens ou ministres et même, maintenant je peux l'écrire puisque je n'y suis plus, un futur président de la République. Non, pas François Hollande. Un ministre, alors de l'intérieur, devenu depuis président de la République. Enfin, plus précisément, je ne l'ai pas interviewé mais, et je crois que c'était encore pire niveau trouillomètre, je lui ai posé une question, gênante, en conférence de presse. Une question qui m'a valu deux heures après un coup de fil de son cabinet pour m'apporter les précisions qu'il n'avait pas été en mesure de me donner.
N'y voyez pas de vantardise, histoire de briser le mythe, j'ai également arrosé de mon coca les dossiers de travail de Valérie Pécresse dans un Falcon qui nous ramenait de Bruxelles vers Paris. Ce qui n'a probablement pas contribué à ce que cette dernière ait envie de devenir un jour mon amie.
Par contre et je tiens aussi à l'écrire, je n'ai jamais été contrainte à faire quoi que ce soit de déshonorant à Dominique Strauss Kahn.
Ceci étant dit je ne l'ai jamais interviewé non plus. Tout au plus croisé une fois dans une conférence. Le temps de constater qu'il était tout petit.
Et même là, rien, pas même un regard désobligeant.
Ce qui peut paraitre un rien vexant quand on sait le nombre de femmes qu'il a manifestement déshabillées ne serait-ce que mentalement.
Parler de moi, disais-je, même pour résumer en trois phrases qui je suis, me plonge dans des affres sans nom. Ce qui ne m'a toutefois jamais gênée pour exercer mon métier. Parce qu'à moins de s'appeler Laurent Joffrin, Jean-François Kahn ou Franz Olivier Giesbert, le journaliste est tout de même plutôt sensé s'effacer derrière son sujet.
Tout ça pour dire à cette jeune fille aspirante journaliste et à deux ou trois autres qui m'ont écrit ces derniers temps pour me demander des conseils avisés, que la "personnalité" sur laquelle toutes les écoles semblent vouloir miser, ce n'est franchement pas très important. La qualité première pour embrasser cette carrière - mise à part la considérable inconscience de vouloir exercer une profession moribonde et menacée offrant des perspectives salariales pathétiques - c'est la curiosité. Celle qui pousse à dépasser sa timidité, justement, celle qui donne envie de poser les questions qui fâchent, celle qui rend la pratique du journalisme si passionnante et impérieuse. Quoi de plus merveilleux que de pouvoir vivre d'une activité qui vous amène à développer ce qu'on vous a toujours dit être un vilain défaut ? Franchement ?
Voilà, pour résumer, je suis une grande gueule d'escalier, une fois la porte du patron refermée, ou de repas arrosés, quand l'alcool fait vaciller les inhibitions. Mais je crois être une bonne journaliste, pas de celles qui signent dans Le Monde ou Libé ou qui mènent des enquêtes qui changent la face du monde. Ma came, et c'est ce qui me permet de me féliciter tous les jours, malgré les doutes, d'avoir quitté ma vie d'agencière "politique", c'est de pouvoir interroger les gens, experts ou non, sur l'intime, leur vie, leurs contradictions ou la façon de les gérer. C'est aussi d'analyser une tendance, essayer d'en comprendre les tenants et aboutissants. C'est, à partir de ce matériau, du fruit des entretiens menés, construire un "papier", tenir le fil jusqu'au bout et espérer ne pas avoir perdu en route plus de la moitié des lecteurs.
Ici, à quelques exceptions près, je ne fais pas du journalisme. Je livre sous le coup de la colère ou de toute autre émotion, un ressenti. Ce qui est l'exact inverse du journalisme. Par conséquent, autant je peux comprendre les désaccords de certains quand je prends des positions arrêtées, autant je ne souhaite plus entendre ou lire des allusions au fait que ça puisse être contraire au métier que j'exerce. On a tous le droit, médecin, caissière, documentaliste, instituteur et j'en passe, d'exprimer une opinion. Ce qui serait grave, serait de me livrer à des approximations ou digressions idéologiques dans les articles que je rédige pour des médias qui me paient en piges. Là, ce serait anti-déontologique et un mélange des genres trompeur.
C'est tout.
Edit: Je ne suis pas certaine en revanche que ce billet me permettra décrocher une place pour les prochains défilés de la fashion week. C'est rageant. Par contre on ne sait jamais, certains community managers pourraient s'arrêter à la photo. Ce sont des pompes achetées chez Monoprix il y a quelques mois déjà. Une bouchée de pain, seyantes et confortables. Je ne sais pas vous mais j'ai peine à trouver des sandales à talon qui me plaisent pour l'été. Quoi, je suis faux cul ? What did you expect ?