Donc aux alentours de début septembre, j'ai reçu ce mail m'invitant au défilé Agnès B printemps été 2012. Il faut savoir qu'en six ans de blogging, c'est le premier message du genre arrivé dans ma boîte aux lettres. Ce qui m'a nécessairement fait légèrement perdre mon sens commun. Alors que tout le monde sait bien en plus que les paillettes et le show bizz me laissent aussi froide qu'une Ségolène devant un François à poil.
Je vous raconte ?
5 Septembre
12h05 : [email protected] to [email protected] « Bonjour, seriez-vous d'accord pour assister au défilé d'Agnès B de la prochaine fashion week ? Merci de votre réponse ».
12H06 : [email protected] to [email protected] « Oui oui oui oui ! »
12h08 : [email protected] to [email protected] « Bonjour, mon mail est parti un peu vite et je ne suis pas certaine que vous l'ayez reçu (ou compris). En substance, je serais très honorée. »
12h12 : [email protected] to [email protected] « C'est encore moi, je crains de ne pas avoir été très claire. Très honorée, donc, d'accepter votre invitation »
12h15 : [email protected] to [email protected] « Votre invitation au défilé, je veux dire. Auquel vous m'avez invitée. Pour la fashion week. J'ai vérifié, je suis libre ce jour là »
12h18 : [email protected] to [email protected] « Le lendemain aussi. Au cas où la date change. »
12h19 : [email protected] to [email protected] « A n'importe quelle heure »
12h56 : [email protected] to [email protected] « Comme il m'est arrivé plusieurs fois ces derniers jours que mes mails n'arrivent pas à destination, je voulais m'assurer que vous ayez bien eu ma réponse. Pour le défilé. Fashion week. Agnès B. Invitée. C'est oui. »
13h56 : C'est clair que je viens de passer un cap.
13h58 : Je vais en recevoir d'autres, obligé. C'est comme les emmerdes, les défilés. Ça te tombe dessus en escadrille. Qu'est-ce que j'ai bien fait de quitter mon boulot.
14h23 : Ce qui serait con c'est que Chanel soit programmé en même temps qu'Agnès B.
14h26 : Et Galliano. Que dalle que je loupe le rebirth de John.
14h45 : Putain à tous les coups je vais devoir refuser Balanciaga à cause d'Agnès.
14h56 : En même temps Agnès B c'est vintage. Comme Carven. Et quelle est la maison qui cartonne depuis deux ans ? Dans le mille. Carven. Ce serait bien ma veine que je loupe Agnès B pour Chanel pile poil le jour où Agnès B fait sa Carven.
15h06 : Je comprends tellement le pétage de plomb de Carine Roitfeld.
4 Octobre
9h35 : A priori pour Chanel, Balanciaga, Galliano, c'est mort là. Pour Carven aussi d'ailleurs vu que c'était hier
9h56 : La bonne nouvelle c'est que je serai au taquet pour la renaissance d'Agnès B. Pas d'interférences de calendriers
9h58 : ça m'étonnerait que beaucoup de blogueuses misent tout sur UN défilé
9h59 : Si ça n'est pas de la prise de risque, je suis Mimi Mathy.
10h12 : Je vais connaître personne.
10h15 : J'y vais pas.
10h17 : Plutôt crever que de pas y aller.
10h23 : Je vais mettre un sarrouel.
10h26 : J'y vais pas.
10h45 : Avec mon unique pièce VRAIMENT fashion. Mon pull sans manches Isabel Marant, promo 2003 et matière jogging.
10h56 : Un peu que j'y vais. Qui s'achetait des fringues chez Isa en 2003, hein ? Sûrement pas Tavi. Elle mettait encore des bodys.
12h02 : Ne pas oublier mon appareil photo.
13h00 : Ni ma carte mémoire. Le truc con.
14h00 : Une heure pour aller de chez moi à Solferino, c'est bon. De toutes façons ça commence toujours en retard.
14h15 : Donc j'y vais.
14h17 : Ou pas.
14h26 : J'y vais c'est trop con.
14h45 : Appareil, check, mes clés, check, carnet pour prendre des notes, check, Iphone, check. Zou dans le métro.
14h54 : Je descends les marches du métro sur mes talons de dix et je me sens trop...
14h55 : Je me sens trop conne. Ma carte mémoire. Morue.
14h56 : Je cours sur mes talons de dix, je me tords la cheville, je cogne mon appareil photo, je suis essoufflée, je récupère ma carte mémoire et je repars en courant dans l'autre sens. Je veux mourir mais avant, si quelqu'un pouvait me rouer de coups histoire que la prochaine fois je pense à ma carte mémoire le seul jour de toute ma vie où je me rends à un défilé de la facheune week ça m'arrangerait.
16h00 : J'arrive devant le bateau amarré port de Solferino. Un drapeau à l'effigie de la salamandre d'Agnès B flotte dans le vent. D'énormes limousines déversent des people blondes. Pas une blogueuse connue à l'horizon. Je les vois d'ici en pleine désespérance quand elles sauront qu'elles n'y étaient pas.
16h03 : Trop drôle, la fille qui sort de la grosse mercos, là, on dirait Ambre.
16h04 : C'EST AMBER. MA BABY SITTER.
16h06 : « Ammmmmbre !!!! Ammmmmmbre !!! ».
16h08 : Apparemment je ne maitrise pas tous les codes, ça ne se fait pas de gueuler comme une hyène après une guest.
16h12 : La pauvre quand elle va me voir en front row elle va se sentir toute gênée du haut de ses gradins.
16h23 : Je parviens enfin à passer la porte du bateau.
16h24 : « Vous êtes en standing" me dit l'hôtesse.
16h26 : Un peu, oui, que je suis standing.
16h28 : Comme standing ovation.
16h30 : J'apprends hyper vite. C'est fou comme personne ne te dit jamais que le front row c'est de la merde et que le must c'est le standing.
16h32 : Ah.
16h34 : Standing comme debout.
16h38 : Standing comme « prends toi un bon coup d'objectif de cette brute de journaliste qui ressemble à Myke Tyson et qui t'a prise pour son trépied ».
16h39 : Standing comme « je ne peux pas trop te dire si c'était bien par contre mon voisin avait bouffé des crevettes. »
16h40 : Le gars chargé du placement m'admoneste : « Les photographes c'est à gauche et le standing à droite ». Quand il prononce « standing » il le fait avec une grimace de dégoût, un peu comme quand on dit « bouchon muqueux ».
16h41 : « Et si on est au standing mais qu'on a un appareil photo, on est où ? », je bredouille.
16h42 : Le gars me regarde cette fois-ci comme si je venais de perdre mon bouchon muqueux.
16h43 : Gros soupir du gars. « Vous êtes quoi ? Photographe ou standing ? »
16h45 : Je... je... Je sais paaaaas. Les deux ?
16h46 : Une jeune femme délicieuse (= stagiaire martyrisée par le gars phobique des bouchons muqueux) vient à mon secours. « Si la question c'est de savoir si en tant que blogueuse invitée en standing vous pouvez prendre des photos, c'est oui ». Puis, plus bas, sur le ton de la confidence « Ne bougez plus, là où vous êtes vous verrez tout. Ne laissez personne se mettre devant vous ».
16h47 : Je fais un calin à ma nouvelle meilleure amie.
16h48 : Une fille immense avec énormément de cheveux se plante juste devant moi.
16h49 : N'importe quelle routarde du défilé la ferait dégager.
16h50 : Je la pousse imperceptiblement et m'excuse immédiatement quand elle se retourne.
16h51 : A mon avis Garance aussi a commencé en standing.
16h52 : Peut-être pas en « behind standing » non plus.
16h53 : La perche vient de commettre une grossière erreur en s'éloignant deux minutes pour récupérer son sac. Je profite de cette boulette de débutante pour me remettre à ma place de winneuse. De la merde qu'on me la pique désormais.
16h54 : La perche, puis un de ses copains tentent de me déloger. Je fais appel à la pleine conscience et je visualise mes pieds campés dans le sol. Je suis un horodateur. Essaie de faire bouger un horodateur. Bonne chance.
16h55 : J'en profite pour filer un bon petit coup dans les tibias d'une salope qui visiblement pensait pouvoir me doubler.
16h55 : Agnès, tu viens de créer un monstre.
16h56 : Les photographes sont hystériques. Ils viennent d'engueuler mister bouchon muqueux. Je suis à fond avec eux. « If you don't care about our job, why would we care about your work ? », gueulent-ils pour protester du peu de place qu'ils ont pour bosser. Je leur lance un regard hyper complice. On est du même côté les gars.
16h57 : Bouchon muqueux me glisse qu'ils abusent. « Des connards, ouais », que je lui réponds. « Ils ont qu'à se casser s'ils ne sont pas contents », j'ajoute.
16h58 : On est à deux doigts de se grimper dessus du coup, avec mon bouchon.
17h00 : Sorry mes potos de la photo mais Darwin avait raison.
17h01 : Le silence se fait, le show va commencer.
17h02 : En fait de silence, les photographes gueulent comme des putois après ces pintades du front row (à part Ambre qui est la plus belle) pour qu'elles décroisent leurs jambes. Et qu'elles cachent leur sac. Oui, même toi Clémence Poésy (qui est juste désespérante de beauté).
17h03 : Roh merde c'est Gilles Jacob là bas.
17h06 : A ce rythme demain je monte les marches à Cannes.
17h08 : Il faut que je trouve un moyen de refaire copain copain avec les photographes sinon ils vont me faire le même coup qu'à Isabelle Adjani.
17h09 : Les premiers tops arrivent.
17h10 : C'est beau. Je dirais même que c'est... beau. Mais vraiment. Très... beau.
17h11 : Il fait chaud ou bien ?
17h12 : A en juger l'odeur il fait très chaud.
17h13 : Y'a quelque chose qui crame. A tous les coups c'est l'autre perchée qui a collé ses cheveux dans le projo. La conne.
17h14 : Ok. Il se peut que ce soit moi.
17h15 : Brûler sur un bateau, y'a tout de même pas plus ballot. Le point positif c'est que ma frange était trop longue.
17h16 : Bouchon muqueux me lance des éclairs, je suis à deux doigts de déclencher l'alarme incendie.
17h17 : Gros dilemme. Je continue à prendre feu MAIS je vois le défilé ou bien je sauve ma peau (au sens propre) mais je dis adieu aux clichés qui feront ma gloire.
17h18 : Que ferait le sartorialist ?
17h19 : Le sartorialist, je ne sais pas, mais moi je reste. Punk for ever.
17h20 : Je ne sens presque plus rien. Comme quoi on s'habitue à la douleur. Ou alors c'est signes que les nerfs sont touchés.
17h22 : j'ai de la buée sur mon objectif. Ou bien c'est de la fumée.
17h23 : Qui a dit qu'un défilé durait deux minutes ? C'est plus long qu'une pièce de Claudel oui.
17h24 : C'est tout de même très beau. Les imprimés. Ce bermuda en cuir rouge. Et ce slim. Et ces robes parisiennes. Et cette sortie de bain avec des poissons rouges. Et la robe à pois. Et les jupes sous le genou. Et les tailleurs pantalon. Je veux tout. Les bijous de cheveux aussi. Même si quelque chose me dit que je n'aurai plus jamais besoin d'un headband.
17h26 : Agnès B vient saluer. Elle est toute petite et semble d'une timidité extrême. Les applaudissements et les flashes crépitent.
17h27 : Standing ovation. Facile pour moi.
(définitivement pas Pierre Arditi) (et assurément Sylvie Testud, au sourire doux comme de la soie)
Ambre, donc, que j'ai réussi à louper et qui fait la première partie de Luce au Trianon au mois de novembre, yeahhhhhh !
Clémence Poesy, énervante. Très. De joliesse.
Non, vraiment, pas Pierre Arditi. Par contre, définitivement Gilles Jacob (et non Rostropovitch) (j'ai vérifié) (il est mort figurez-vous)
Bon en fait je ne veux pas tout. Je passe mon tour pour le chapeau.