La dernière fois, je vous avais dit que le docteur Zermati reviendrait ici pour parler de cette délicate histoire d'impulsivité. Pas celle qui nous fait parfois faire des choses inconsidérées mais néanmoins positives comme embrasser à pleine bouche ce nigaud de garçon qui nous reluque depuis trois mois dans l'amphi de droit social sans oser nous approcher.
Non, la mauvaise impulsivité. Celle qui nous pousse à descendre le contenu du placard à bouffe parce que ce salaud de nigaud ne nous a pas rappelée depuis qu'on l'a justement embrassé à pleine bouche. Ou parce que la petite dernière n'a pas dormi de la nuit et qu'on n'en peut plus. Ou parce que big boss nous met la pression pour la réunion de demain. Ou... ou... ou juste parce qu'on ne sait pas quoi faire, qu'est-ce que j'peux faire.
Le docteur Zermati, ça le turlupine depuis un moment, cette question. Parce qu'elle est finalement au coeur de presque tous les problèmes de ses patients. Ça le turlupine d'autant plus depuis qu'il a fondé avec Gérard Apfeldorfer le site Linecoaching. Parce que les personnes inscrites semblent pour beaucoup vraiment submergées par ces émotions qui les amènent à des compulsions. Et qu'à distance, les aider, c'est compliqué. Bref, monsieur Z a gambergé et il y a quelques jours, il m'a laissé un message un peu étrange et forcément très intriguant: "Caroline, j'ai trouvé un truc. Je l'ai appelé la pompe à chocolat. Si vous voulez que je vous en parle, appelez-moi".
Vous vous doutez qu'avec un nom pareil, le dispositif ne pouvait qu'aiguiser ma curiosité. Voici donc les explications de Jean-Philippe Zermati. Qui je pense tombent à point nommé, juste avant Noël et son cortège d'envies difficilement maitrisables. Sans parler de la famille qui est certes un cocon de douceur mais bien casse-burnes aussi parfois et là, bonjour la razzia de chocolat.
Allez, je me tais et je laisse la parole à l'expert.
Pourquoi vous êtes-vous penché sur ce problème de l'impulsivité ?
Jean-Philippe Zermati: Depuis que je traite des patients pour des troubles du comportement alimentaire ou des problèmes de poids, je tourne autour de cette question. Mais clairement, l'expérience que nous menons actuellement dans le cadre de Linecoaching m'a poussé à aller plus loin dans cette réflexion. Pourquoi ? Parce que beaucoup des personnes inscrites à ce programme souffrent de compulsions et buttent sur ce problème de l'impulsivité. Il fallait donc trouver une réponse adéquate à leurs interrogations et les aider à gérer cette impulsivité. Je rappelle que l’impulsivité alimentaire est une envie de manger réflexe déclenchée par une situation d’inconfort émotionnel.
Justement, comment gérer ces pulsions qui nous poussent à manger sous le coup d'une émotion ?
Jean-Philippe Zermati: C'est LA grande question. L'idée n'est surtout pas de lutter contre les émotions ou de chercher à les supprimer. La vie est faite d'émotions positives et négatives et c'est un leurre que de penser pouvoir s'en passer. Il faut au contraire parvenir à supporter l'inconfort émotionnel et à faire en sorte que cet inconfort ne déclenche pas une envie de manger immédiate. Ou tout au moins une envie de manger qui prend le pas sur tout. Pour ce faire, j'ai tenté de ré-orienter les exercices de pleine conscience qui au départ ne sont pas conçus pour répondre spécifiquement à ce problème particulier. Dans un premier temps, je les ai beaucoup utilisés en cabinet pour identifier et accepter la sensation de faim. En effet, chez certains, la sensation de faim déclenche de vrais états de panique. En pratiquant en cabinet des exercices de pleine conscience alors même que le patient avait faim, j'ai constaté des résultats spectaculaires en deux ou trois séances. C'est comme cela que j'ai décidé de tenter d'appliquer ces exercices à la gestion des émotions. Parce qu'après tout, une émotion n'est pas physiquement plus douloureuse que la faim ou beaucoup d’autres désagréments que nous subissons dans notre existence quotidienne.
Comment fonctionne donc ce procédé que vous avez appelé « la pompe à chocolat » ?
Jean-Philippe Zermati: Le principe de départ, donc, est d'observer son émotion au moment où l'on ressent cette envie de manger alors qu'on n'a objectivement pas faim. On observe sans jugement les pensées et les sensations physiques qui les accompagnent. Sans chercher à les chasser. Puis si l’on peut, on met des mots sur ce que l'on ressent : est-ce de l'ennui, de l'angoisse, de la joie, de la peur, de la fatigue ? Une fois que cette émotion est identifiée, le patient a deux possibilités qui s'offrent à lui : soit il se réconforte en mangeant l'aliment convoité. Ce qui implique d'avoir au préalable travaillé aussi sur la dégustation et sur ses comportements de restriction. Afin de s’autoriser à manger toutes sortes d’aliments sans aucunes arrière-pensées négatives. Et afin que cette attente de réconfort ne se transforme pas en compulsion. Autre choix : se maintenir quelques instants dans cet inconfort émotionnel pour améliorer sa tolérance à ce type d’inconfort et observer comment il évolue dans le temps. Au terme de cette observation, à nouveau deux possibilités : mettre un terme à l’exposition émotionnelle et choisir le réconfort alimentaire, soit à nouveau attendre un peu, toujours en observant ses émotions. Dans le cas de l'option consistant à choisir de manger, si la dégustation ne s'avère pas réconfortante, le principe est le même : observer à nouveau son émotion et éventuellement manger à nouveau, une petite quantité de l'aliment, 20 minutes plus tard.
Pourquoi ce terme de « pompe à chocolat » ?
Jean-Philippe Zermati Parce que je me suis inspiré de la pompe à morphine. Il faut savoir qu'au départ, la pompe à morphine lorsqu'elle a été mise en place, a suscité beaucoup de critiques et de craintes. Certains étaient convaincus que les patients allaient s'administrer beaucoup plus d'antidouleur que ce qu'ils recevaient auparavant par le biais des infirmiers. Or très vite on a constaté que c'était exactement le contraire qui se passait et que les malades attendaient beaucoup plus longtemps entre deux prises, simplement parce qu'ils maitrisaient leur décision et la durée de leur exposition à la douleur. Là, c'est finalement un peu le même principe. A n'importe quel moment, on peut décider d'arrêter de supporter l'inconfort émotionnel en dégustant un carré de chocolat, un morceau de fromage ou n'importe quel aliment synonyme d'apaisement.
Et ça marche ?
Jean-Philippe Zermati: Oui, cela fonctionne. Attention, il faut être capable d'observer une émotion sans se laisser submerger, ce qui suppose un entrainement aux exercices de pleine conscience. Il faut aussi bien garder à l'esprit que l'expérience n'a pas pour finalité d'empêcher de manger. Elle est là pour offrir un choix entre un réconfort alimentaire réellement apaisant ou un travail sur la tolérance à l'inconfort émotionnel. Ce qui aboutit généralement à une plus grande flexibilité psychologique et l’accès à un plus grand nombre de réponses efficace face à ses émotions. Cette expérience n'a pas non plus pour finalité de calmer l'émotion, mais d’apprendre à mieux la supporter Il ne faut donc pas s'attendre à « se sentir mieux ». A ce titre, j'ajoute que ce qui ressort des témoignages sur Linecoaching, c'est que les émotions qui déclenchent le plus souvent les compulsions alimentaires sont rarement très douloureuses. La plus citée est ainsi... l'ennui. Or en général, on répond à quelqu'un qui s'ennuie et que cela angoisse : « occupez-vous ». Ce qui est totalement inutile. S'activer en permanence pour « oublier » l'envie de manger revient à une stratégie d'évitement ou de contournement émotionnel. Une vie sans ennui n'existe pas et à un moment ou à un autre, l'inactivité reviendra. Il faut donc apprendre à accepter ces moments d'ennui, quitte à se réconforter en mangeant, mais alors parce qu'on l'a choisi, et dans des conditions qui ne soient pas celles d'une compulsion.
Edit: si vous voulez il y a un petit shéma qui résume cette "pompe à chocolat". C'est ici.