Donc ce manteau. Avant tout, il faut savoir que je suis atteinte du syndrome du manteau qui ne va jamais complètement. J'en ai eu une palanquée, soit ils étaient beaux mais pas chauds, chauds mais pas beaux, près du corps mais tellement que je ne pouvais mettre qu'un soutif dessous et que ça ne le fait pas vraiment ou alors pour un trip "bonjour chéri je passe à l'improviste au boulot pour un plan baise et ça tombe bien parce que sous mon manteau je suis à poil". Fantasme assez masculin à mon avis que je n'ai pour l'instant jamais mené à bien. J'ai eu aussi les manteaux très larges dans lesquels je disparaissais, ceux qui me rajoutaient 20 ans (merci le manteau camel), ceux qui sentaient le chien mouillé dès qu'il pleuvait (mais pas qu'un peu, au point que VRAIMENT les gens se mettent à renifler dans le métro en disant "ça sent le chien MORT"), ceux dont les manches m'arrivaient au genou (je reviendrai ultérieurement sur ce point), ceux qui étaient tellement longs que j'avais l'impression de me promener dans mon duvet et ceux tellement courts que j'ai attrapé un rhume des fesses.
On m'aura comprise, je n'avais jusqu'alors jamais trouvé mon manteau mais ça n'était pas faute d'avoir cherché.
Alors qu'en plus dans ma tête, je savais quel était mon dulciné. Au dessus du genou, en grosse laine, qui fasse un peu "boule" surtout dans le dos et genre un peu masculin mais pour femme. Dans l'idéal, chiné. Et ne pesant pas un âne mort. Et chaud.
Un jour j'ai vu une blogueuse avec un Isabel Marant. Je ne saurais vous dire laquelle de blogueuse mais je me demande en réalité s'il existe encore une blogueuse mode qui n'aurait PAS un manteau Isabel Marant.
La machine à fantasmes a démarré. D'autant que je possède une pièce Isabel Marant depuis une dizaine d'années dont je ne me suis absolument jamais lassée alors même que c'est le genre de fringue improbable. C'est un petit pull gris, en laine épaisse comme du jogging (oui, je sais, depuis le début mes descriptions sont à pleurer de consternation mais que voulez vous je n'ai pas fait l'IFM on s'excuse) à manches courtes et forme trapèze. Acheté par le churros. Un drôle d'épisode d'ailleurs que je ne résiste pas à l'envie de vous raconter. Il avait subi une petite opération sur laquelle je ne m'étendrai pas parce que chacun mérite de garder un jardin secret surtout quand le jardin est situé à cet endroit là. Ambulatoire l'opération. A savoir anesthésie générale le matin, petite opération au fond du jardin et sortie l'après-midi. Accompagnée, normalement, la sortie. A cause que parfois les anesthésies peuvent modifier le comportement d'un homme au demeurant très équilibré.
Sauf que je n'étais pas disponible et que personne ne pouvait aller le chercher. Il était entendu qu'il prendrait un taxi direct jusque chez nous et qu'il m'attendrait sagement. Las, comme il était seul et un peu perturbé par les vapeurs d'ether ou autre produit euphorisant, il n'a rien fait de tout ça et s'est retrouvé comme par enchantement à feu la Samaritaine. D'où il a commencé à m'appeler toutes les cinq minutes sur mon lieu de travail. Avec la voix d'un gars qui aurait mangé une boite entière de prozac. Ainsi qu'un ou deux bonzes tibétains sous acides.
"C'est génial la samaritaine, tu verrais, tout est beau et tout t'irait tellement bien, d'ailleurs tu vas voir je t'ai fait un cadeau". Au premier coup de fil je ne me suis pas inquiétée, j'étais même attendrie qu'après cette opération de l'arrière cour il soit aussi amoureux de moi. Au dixième j'ai pensé avertir le service de sécurité de la Samaritaine. Parce que coup de fil après coup de fil, il m'égrenait des marques totalement prohibitives et m'expliquait que c'était impossible de résister, j'allais être teeeeeeellement belle dedans.
A l'époque, je n'étais pas de ces blogueuses qui roulent sur l'or voyez-vous et lui même, journaliste presque débutant dépassait péniblement un SMIC. Et les twins étaient encore des bébés gardés à la maison. Autrement dit, nous étions fauchés. Et la fringue la plus chic que je devais posséder était probablement un pull Mango.
Au moment où je m'apprêtais à quitter mon poste de travail au risque de me voir licenciée sur le champ (ça rigolait pas le salariat au début des années 2000), il m'a juré avoir quitté ce temple de la consommation et être sur le chemin du retour. En promis qu'il avait été raisonnable.
Raisonnable à hauteur d'un millier d'euros environ (à l'époque ça devait faire 3000 francs mais on sait bien qu'on s'est fait enfler avec Maastricht) (il faut retenir que c'était énorme pour nous). Quand je suis rentrée, j'ai trouvé pas moins de huit paquets. Que des pulls. Isabel Marant, Vanessa Bruno, Bompard, etc. Croyez-moi ou non j'ai (mollement) proposé d'aller rendre tout ça. Mais il était encore sous influence et m'a assuré que non, jetant frénétiquement tous les tickets de caisse au vide-ordure (je pense que le lendemain il est allé les chercher avec l'énergie du désespoir dans le local à poubelles mais c'était trop tard).
Bref, depuis ce jour là, il n'a plus jamais eu besoin d'aller voir au fond du jardin si tout allait bien et résultat, plus jamais je n'ai eu droit à une fringue Isabel Marant. Mais ce petit pull, hormis qu'il me rappelle ce souvenir après-coup hilarant (surtout sa tête au réveil quand il s'est rappelé de son délire samaritain) (bon samaritain en quelque sorte) (hin hin hin), est resté l'un de mes préférés. Quand je suis grosse, il est ajusté, le reste du temps il me donne un petit côté stylé que je ne déteste pas. Et il n'a pas bougé d'un poil. A l'époque en tous cas, Isabel faisait de la bonne came.
Revenons au sujet du jour. Comme il m'était impossible (bien que je sois devenue blogueuse) d'acheter plein pot un manteau d'Isa (environ 400 euros), je suis allée voir sur Vestiaire de copines, un site qui revend des trucs de seconde main, mais des trucs de marque (pas mango par contre). Je me suis dit on sait jamais. Et pan, on sait jamais parfois ça marche. Il était là, la bonne forme, chiné noir/bordeaux, taille 3, tout moi. Moitié prix et encore l'étiquette. Un peu tremblante parce que pour ainsi dire vierge du vide-dressing, j'ai dégainé ma carte bleue en me répétant que je ne faisais rien de mal et que j'avais bien travaillé tout l'automne. Et que certes on pouvait pas rendre ce qui n'allait pas mais qu'au pire je le mettrais sur ebay.
Quand je l'ai reçu, dix jours après, joliment empaqueté, j'ai cru à une blague tellement le paquet pesait le poids d'un rouleau de sopalin. Et puis non, une fois déballé, il avait l'air chaud le bougre. Léger mais chaud, déjà deux bons points. Doublé en molleton à l'intérieur, laine et alpaga à l'extérieur. 3ème bon point. Et bonne longueur. Avec le côté boule dans le dos. Un peu mec, non ? Rah, jouissance.
Et puis soudain, grosse frayeur. Les manches. Pile poil. Tout juste un peu courtes. Y'avait un flou un loup.
Il faut que je vous explique avant d'aller plus loin, que j'ai les bras courts. Ça ne se voit pas au premier regard, peut-être même pas au second. Je veux dire, je ne pense pas, que les gens quand ils me rencontrent, ils se disent "mais c'est qu'elle a des petits bras celle là". Pas comme André Manoukian par exemple, qu'une fois qu'on l'a remarqué on ne voit plus que ça et qu'on a envie de lui dire "pas de chocolat". Mais quand même. Ils sont courts. Sinon comment expliquer que TOUT ce que je porte à manches longues ait des revers ? Surtout mes manteaux que je dois SYSTEMATIQUEMENT faire reprendre à cet endroit là ?
Et là, pof, comme par hasard, il m'irait impecc ? Doutance.
Soudain j'ai compris. La fille elle l'avait fait BOUILLIR. D'où le moitié prix. Je me serais collé des gifles d'être aussi cruche. Comme une bleue je m'étais fait avoir.
En bonne pisseuse 2.0, j'ai immédiatement confié mon désarroi sur twitter. Sur le mode "je suis bien fuckée, avec mon manteau Isa Marant tout bouilli et ses manches trop courtes".
Heureusement, twitter n'est pas comme qui dirait peuplé que d'ignares. Et dans la seconde, Géraldine et Cécile m'ont répondu sans l'once d'une condescendance (parce qu'elles sont des modeuses sympas) que je ne devais SURTOUT pas paniquer et ne balancer le manteau sous aucun prétexte. "Tu le reposes immédiatement et tu sors du local à poubelle". Parce que Isa, elle est comme ça, elle aime les manches courtes. Paie ta mitaine en Marant. Passée l'humiliation (apparemment TOUT le monde sait ça) j'ai enfin pu savourer mon bonheur parce que "manches courtes" pour les autres = bonne longueur pour moi et que donc pour une fois je n'aurais pas de revers à mon manteau. Et aussi parce que je ne m'étais pas fait avoir vu que personne n'avait fait bouillir mon manteau.
Depuis, je ne saurais vous expliquer l'impression délicieuse qui s'empare de moi à chaque fois que je l'enfile (je sais). Il est chaud comme si je me trimballais une peau de bison sur le dos, léger comme une plume et il a une allure folle. Sauf pour le churros qui le déteste (- il est trop grand non ? - non, il est oversize - c'est bien ce que je dis, il est trop grand). Mais TOUTES mes copines l'adorent. CQFD.
Voilà, j'ai réussi à pondre un roman sur un manteau et viens probablement de perdre tous ces nouveaux lecteurs arrivés ces deux derniers jours convaincus d'avoir affaire à une leadeuse d'opinion très crédible. Alors qu'en réalité, je suis complètement... bouillie.
Et incapable de mettre une photo où on voit vraiment mon manteau. Par contre il est évident à la revoyure que ces bottes en caoutchouc qui m'ont donné l'impression d'être kate moss à glastonburry me tassent aussi sûrement que si j'étais passée sous un bus.