La nuit dernière, Rose a profité de l'absence de son père pour se glisser dans mon lit vers deux heures du matin. Prétexte invoqué, un cauchemar qui l'avait réveillée. J'ai mollement protesté mais sans grande conviction. Ce corps encore petit et chaud de sommeil qui s'est blotti contre moi a fait tomber le peu de barrières qu'il restait. Quand je l'ai raconté au churros, il a souri et glissé qu'il n'avait pas intérêt à partir trop longtemps ou sa place serait définitivement occupée. Il n'a sûrement pas tort.
Sinon, le week-end dernier, les astres étant parfaitement alignés, nous sommes allés au cinéma. Vivement, je vous le dis, que nous décrétions les grands assez responsables pour garder leur soeur le samedi soir. Parce qu'entre les baby-sitter aux emplois du temps de ministre et l'addition plus que salée d'un resto/cinoche, je compte sur les doigts d'une main nos sorties ces derniers mois.
Nous sommes donc allés voir "Elles", le film avec Juliette Binoche et Anais Demoustier (entre autres). Gros coup de coeur pour cette histoire qui aurait pu être sacrément casse-gueule. J'ai aimé que le film évite de tomber dans une analyse pseudo-sociologique d'un soit-disant phénomène, à savoir celui de la prostitution étudiante. Parce que d'après ce que je sais, si cela existe, c'est loin d'être quelque chose de généralisé.
Le propos ne se situe donc pas sur ce plan, mais sur celui du corps, du commerce que l'on en fait, du plaisir qui peut parfois survenir dans un contexte qui ne s'y prête pas. De la façon dont on peut croire que se vendre ne nous fait pas de mal, ne nous touche pas. Alors qu'en définitive... si.
Surtout, ce qui est à mon sens passionnant, même si parfois un peu "grosses ficelles", c'est ce transfert que fait la journaliste incarnée par Juliette Binoche. Son enquête qui l'amène à interroger ces deux jeunes escort girls intervient à un moment de sa vie où tout semble se fissurer, son couple, son rôle de mère, son image, son corps. D'où une attirance inconsciente, un sur-investissement dans cette enquête, où de journaliste elle devient amie, mère, complice. On sent qu'il y aura un avant et un après dans la vie de cette femme, que plus rien ne sera complètement pareil. Et bizarrement, on se surprend à être plus inquiète pour elle que pour ses deux interviewées. Mais il est probable que j'aie fait moi aussi un transfert.
Bref, c'est un film sur des femmes, fait par une femme et probablement pour des femmes. Le churros n'a pas adoré, en tous cas pas autant que moi. Je crois, bien qu'il s'en défende, que c'est parce que les images y sont crues, sans réel glamour. Quand Juliette Binoche est filmée en plan serré en train de se masturber, son visage se tord, se congestionne, grimace. On est loin du fantasme masculin et d'une main qui va et vient lascivement. C'est un film sur la sexualité, pas celle des magazines, pas celle, édulcorée qu'on nous vend d'habitude. Une sexualité vue par et pour les femmes.
J'ai aimé, quoi.
J'ajoute que j'ai aussi aimé voir une actrice dans la splendeur de la quarantaine, aux hanches un peu plus larges qu'elle ne le furent, aux seins plus lourds qu'il y a vingt ans et aux traits qui témoignent - joliment - du temps qui passe. Juliette Binoche ne m'a jamais semblé aussi belle.