Avant d'arriver à la préfecture hier, je caressais l'espoir de tomber sur une bonne âme qui prendrait en pitié ces deux malheureux contraints peut-être d'abandonner leur projet de voyage de noce à retardement dans une contrée encore vierge de toute empreinte humaine (l'ïle Maurice). J'avais préparé les mouchoirs, convaincue de lui tirer des larmes. On a beau être fonctionnaire de police, je crois que confronté au malheur d'un concitoyen, on n'en reste pas moins humain, non ?
Je sens que je vais vous étonner mais très curieusement, la dame qui m'avait été assignée lors du rendez-vous préalablement calé dix jours plus tôt n'en a rien eu à cirer de mes états d'âme. Eric.
Il faut dire qu'une fois de plus, nous nous sommes distingués le churros et moi. C'est à dire que nous pensions pouvoir fourguer tous nos docs en même temps histoire que notre dossier soit envoyé groupé au service des passeports biométriques (ce serait ballot que l'un bénéficie d'une procédure d'urgence et pas l'autre). Mais la dame n'a pas trouvé ça mignon. Problème, on avait vraiment tout mutualisé, les timbres fiscaux, les justificatifs de domicile, etc. Je vous passe les détails quant au recensement en panique de ce qui est à toi et plus à moi. La tension sous-jacente a rebondi d'un cran quand mon tendre et cher a commencé à geindre qu'il allait être en retard, croyant bon d'ajouter: "mais pourquoi tu m'as pris un rendez-vous à 9h30 et pas à 9h10 à ta place, alors que MOI JE TRAVAILLE ?" (dès cet instant j'ai su que le voyage de noces, de toutes façons, il avait du plomb dans l'aile).
Après, la dame m'a déchiré le formulaire rempli sur internet au motif que je ne l'avais pas renseigné intégralement. J'ai eu beau expliquer que ça avait bugué et que j'en avais donc déduit que pour le passeport la date de naissance de mes parents n'était pas indispensable, il a fallu en noircir un nouveau. Et m'apercevoir que je calais sur l'âge de mon père. Et donc de ma mère dont je sais juste qu'elle a un an de moins. Devant mon hésitation, ma geolière m'a immédiatement aboyé qu'en cas d'erreur tout serait à refaire. Ce qui a déclenché mon syndrôme "je ne sais pas remplir un formulaire du premier coup". Le churros, lui, avait tellement peur (de moi surtout, je crois, vu qu'il n'était pas sans avoir remarqué que son "JE TRAVAILLE, MOI" me les avait un peu brisées) qu'il en avait oublié le prénom de sa mère. Mais vraiment. Il m'est redevenu sympatique j'avoue.
Après il s'en est souvenu mais l'a mis dans la case de l'adresse. On partage le même syndrôme, ça m'a attendrie. Ce qui n'empêche que le "MOI JE TRAVAILLE" me restait encore bien coincé là où je pense.
Et tout a été à l'avenant. Au moment de mettre ma main sur le capteur d'empreintes, je me suis escrimée à essayer d'y caser le pouce alors que la dame hurlait qu'il ne fallait y mettre que QUATRE DOIGTS. A ce stade je n'étais de toutes façons plus du tout sûre de savoir si j'étais réellement de nationalité française et si je méritais vraiment que la République m'offre un passeport (façon de parler, parce que la République, à raison de 86 euros, elle se goinfre).
J'ai fini par arriver au bout de ce calvaire, juste à temps pour voir le fonctionnaire chargé du dossier du churros montrer les photos de mon de mari à deux collègues qui ont commencé à faire "non non non" de la tête. Le churros a tenté de blaguer, sur le mode "c'est un peu vexant tout de même".
Mais les monsieurs n'avaient pas tellement envie de rire.
"ça n'a rien à voir avec votre allure", ils ont dit gravement. "Vous avez gardé votre écharpe".
Haaaaaaaaaaan.
Malfrat.
Evidemment, solidaire dans la richesse et dans la pauvreté et pour le meilleur comme le pire, j'ai immédiatement réagi: "Mais enfin, elle le disait, la dame du photomaton, qu'il fallait enlever tout ce qui couvrait le cou, c'est pas dieu possible que tu n'écoutes jamais les consignes, c'est comme les meubles IKEA, hein, POURQUOI LIRE LE MODE D'EMPLOI, TU ES TELLEMENT INTELLIGENT. FAUT DIRE QUE TU TRAVAILLES, HEIN".
Paf le chien.
Le monsieur il a tellement pris le churros en pitié qu'il l'a autorisé exceptionnellement à aller refaire des photos pendant qu'il lui gardait sa place. Moi j'ai pris un air entendu et j'ai tenté de mettre ma garde chiourne dans ma poche en jouant la complicité femme - femme. ça n'a pas du tout marché, elle m'a gentiment demandé d'aller vaquer à mes occupations vu qu'on en avait fini toutes les deux. Et à ma question "c'est quand que j'aurai mon passeport", elle a grogné "entre deux et trois semaines". J'ai vaguement balbutié que voyez-vous, c'est idiot mais on a prévu un voyage dans dix jours et est-ce qu'à votre avis, on peut quand même réserver, au cas où ça mette moins de temps mais bon c'est pas grave sinon, notez que je ne demande pas de passe-droit, même si j'ai UN BLOG.
"Au revoir madame", elle a dit d'un ton qui n'appelait même pas une réponse de pure forme.
Je m'en suis allée très dignement en ramassant tant bien que mal toutes mes affaires.
Et j'ai laissé le churros se démerder avec son dossier en lui expliquant que j'avais un rendez-vous chez l'esthéticienne hyper important, suivi d'une partie de tarot avec l'amicale du 13è. La routine.
Je suis donc repartie et comme tout ça m'avait quand même un peu stressée, j'ai fait ce qui me détend toujours dans ces cas là: un tour à Monop. Une fois à la caisse, je sors ma carte bleue et tatonne au fond de mon sac pour vérifier que mon téléphone y est toujours. Je tatonne, je tatonne, je tat...
Et là, la sonnette d'alarme dans ma tête. Il n'y est pas. Calme, zen, il est dans ma poche. Non plus. Je paye comme un zombie, m'écarte un peu et déballe tout mon bardas sur une caisse désaffectée. Rien. Je retourne mes poches. Rien. Je tombe en larmes dans les bras du vigile et lui explique qu'à un moment au rayon fringues on m'a frolée, j'en suis certaine. Le vigile est désolé, me propose d'appeler mon portable et de refaire le chemin en sens inverse pour voir s'il n'est pas tombé dans le bac à légumes vu que j'ai acheté un avocat. Me voilà partie, flanquée du vigile qui a un peu peur je pense que je me barre avec son téléphone. Je fais sonner, rien, rien rien. Sans exagération aucune, je décrète que suis foutue.
JE N'AURAIS JAMAIS DU DEMISSIONNER.
Je repars en me disant que je vais aller porter plainte direct, pour récupérer un téléphone dans la foulée grace à mon assurance. Dans ma tête résonne l'avertissement d'une copine: "même si tu es assurée, il faut dire qu'on t'a AGRESSÉE. Sinon ça ne marche pas". Je commence à échafauder un scénario, le mec m'a arraché l'I-phone en pleine rue, comme ça, pas de témoin, mais il y a eu VIOLENCE monsieur l'agent, mettez-le sur le procès verbal, hein.
Me voilà devant la préfecture, l'endroit même où je venais de passer un moment très charmant. J'entre et à la dame de l'accueil je commence à faire mon baratin, en lui demandant si c'est au même endroit qu'on porte plainte parce que figurez-vous qu'alors que je marchais tranquillement dans la rue on vient de M'ARRACHER MON TELEPH...
Je ne sais pas par quel instinct de survie je m'interromps. Peut-être la façon qu'elle a de me regarder, comme si elle me reconnaissait. Il faut dire qu'on n'a pas vraiment été discrets une heure auparavant. Je la vois qui passe la main sous le comptoir et je me dis qu'elle va sortir un flingue, ou bien qu'elle est en train d'activer une alarme, ou que... non, ce serait trop énorme, hein, alors que je viens de prétendre qu'on m'a ARRACHÉ MON... Mon TELEPHONE. Elle vient se sortir mon téléphone de sous son comptoir. Je veux partir avec cette femme là à l'Île Maurice, dieu m'est témoin.
Dans un geste empreint d'une grande humanité, elle me tend mon portable, fait comme si elle n'avait pas entendu mon mensonge d'Etat deux minutes avant et me conseille de m'en aller maintenant. Mais vraiment. Vite. Ce que je fais sans broncher.
Comme de bien entendu il va de soi que mon premier réflexe - après avoir couru sur une centaine de mètres et eu la certitude qu'on n'avait pas lancé les flics à mes trousses a été d'appeler le churros pour lui hurler qu'à cause de la façon indigne dont il m'avait traitée et de tout ce stress négatif (parce que comme chacun sait il y a bon stress et mauvais stress), j'avais oublié mon Iphone à la préfecture et manqué tomber pour faux témoignage et dénonciation calomnieuse (j'avais tout de même réfléchi à un éventuel portrait robot de mon agresseur) (il ressemblait à s'y méprendre à Claude Guéant).
Voilà, c'est tout.
La photo c'est rien, c'est pour attirer les annonceurs.