Ma mère m'a toujours raconté que petite, il ne fallait en général pas dix minutes dans un bac à sable pour que je me trouve dépouillée de mon seau, ma pelle et mon rateau. Sans que j'essaie une seconde de me défendre. Mes parents avaient beau me coacher sans relache et m'inviter à offrir un semblant de résistance, rien à faire, je restais là, désarmée, aussi belliqueuse qu'une anémone.
Ma mère s'est fait un sang d'encre pendant des années: comment cette enfant pourrait bien s'adapter à ce monde de requins si le simple fait de demander à un garçon souvent âgé de trois ans de moins qu'elle de lui rendre sa pelle était aussi insurmontable que de grimper à la corde à noeuds (un autre problème mais qui vint plus tard) ?
Finalement, petit à petit, je me suis un peu endurcie, bien que ne me distinguant pas vraiment par ma capacité à jouer des coudes. Ce qui a très certainement mis quelques bâtons dans les roues de ma progression professionnelle mais ne m'a pas non plus empêchée de faire ce que j'avais à faire. Je crois fermement qu'on peut arriver à ses fins sans piétiner la gueule du voisin et même, n'en déplaise à celui qui me servit de n+1 pendant quelques années, se faire respecter sans terroriser ses subalternes.
Il n'empêche que j'aurais, je crois, bien aimé voir mes enfants être un poil plus surs de leur fait que je ne l'étais.
Il faut croire que c'est totalement génétique, puisque les twins ont attendu d'avoir dix ans environ pour s'opposer à tout enfant leur jetant du sable dans la figure (j'ai encore récemment vu mon machin se faire mettre la patée dans un square par un petit de quatre ans à qui il n'osait pas dire que ça ne se faisait pas) et que je ne compte pas le nombre de fois où durant leur petite enfance j'ai du intervenir pour que telle ou telle vermine cesse de leur faire bouffer de la terre/descendre le toboggan par l'échelle/envoyer la balançoire dans la figure.
Je ne dis pas que j'aurais aimé être la mère de deux futurs repris de justice, mais je dois bien avouer que parfois ça m'aurait bien plu de les voir répliquer plutôt que d'avoir à me fader des mères peu conciliantes, convaincues qu'un enfant qui ne sait pas se défendre est finalement un peu responsable de ce qui lui arrive et que leur rejeton n'était finalement qu'un gamin sachant se faire respecter.
J'avoue que j'avais placé pas mal d'espoirs dans la petite dernière. A la maison, autant vous dire qu'elle nous mène plutôt au doigt et à l'oeil. Las, c'est parce qu'elle est en territoire conquis. Hier encore en effet, il a fallu à peu près une minute trente pour la voir revenir avec la moitié du bac à sable sur la tête. Bien entendu, tout son matos avait disparu, subtilisé par deux terreurs de 65 cm grand maximum et sachant à peine marcher. Je l'ai renvoyée demander elle même qu'ils lui rendent ses jouets (autonomisation, challenge, affirmation de soi et toutes ces conneries), ce dont elle est acquittée à reculons et sans aucun effet (peut-être est-ce parce qu'elle a chuchoté "c'est à moi" en se positionnant stratégiquement derrière un arbre) (situé à deux kilomètres environ de ses agresseurs).
Au bout d'un moment, quand les deux caïds se sont lassés de terroriser d'autres malheureuses victimes en se servant de MON TAMIS (vieux traumatisme remontant à la surface), elle a trouvé la solution: elle a rapatrié son seau, sa pelle et son rateau à côté de moi et a décidé qu'elle n'en avait pas besoin pour s'amuser. Stratégie bien connue d'évitement (j'avais la même). Et de me confirmer que j'avais donc bien enfanté trois prototypes de bonnes poires.
Entendons nous bien, aucun de mes enfants n'a l'âme d'un souffre douleur ou eu à subir de vraies violences. Mais dans les jardins publics, ils ont toujours, mais alors toujours, été du côté des agressés et jamais des agresseurs. Cela ne me les rend que plus aimables (je suis de gauche) mais je me demande parfois si avoir le cuir un peu plus tanné ne serait pas, à terme, un petit atout (la gauche molle).
Et en même temps, j'avoue que rien ne m'agace plus que l'air faussement désolé de certaines mères de gamins qui eux sont du genre à aller au contact. Quelque part, on les sent relativement rassurées sur l'avenir de leurs héritiers qui au moins, "ne se laisseront pas faire dans la vie". Je crois que c'est peut-être là que ça commence, les problèmes. Dans cette fierté à peine dissimulée d'avoir engendré des winners. Parce que rappelons nous d'un truc: les enfants font en général tout ce qu'ils peuvent pour exaucer nos souhaits, même les plus secrets.
Ce qui devrait signifier, si je suis ma logique implacable, que quelque part je n'ai jamais vraiment voulu qu'ils soient de fortes têtes. Même si je prétends le contraire.
Parfois, la parentalité, c'est compliqué.