La première fois que je suis allée à Bordeaux, j'avais 25 ans et je venais de rencontrer le churros. J'étais une fille de l'Est mais mon mec à moi ne jurait que par l'Ouest et l'Aquitaine, en bon Rochelais qu'il est. Ce jour là, à peine sortie de la Gare Saint-Jean, j'ai découvert que dans certaines contrées les pains au chocolat s'appelaient des chocolatines et qu'on demandait des poches au supermarché pour y mettre ses courses. Là bas, aussi, on fait de l'essence et quand on quitte le boulot le soir, on débauche.
J'ai surtout vu cette lumière si particulière qui n'existe que vers l'Atlantique, humé l'odeur des pins qu'on devine si proches et admiré les facades des immeubles donnant sur les quais, cette perspective qui fait la fierté des Bordelais même si à l'époque les murs étaient noirs de suie, donnant à l'ensemble un aspect bien plus dramatique qu'il n'a aujourd'hui.
Bordeaux fut surtout pour moi cette année là la ville d'une rencontre, celle des amis de mon nouvel amoureux d'alors et plus particulièrement de Nath, sa soeur d'adoption, qui nous accueillit dans son petit appartement pourri du quartier Saint Michel qui n'était pas encore un repère de bobos kiffant le bio. Nath et ses cheveux noirs qui tombaient jusque ses reins, ses saris flamboyants et surtout son rire qu'on entendait des Quinconces à Nansouty. Plusieurs années durant nous avons passé des week-ends enfumés avec elle et la bande, partant l'été à Montalivet, louant tous ensemble des bicoques à pas cher et promenant, c'était selon, nos séants à poil chez les naturistes ou nos deux-pièces du côté des textiles.
Nous avions 20 ans et des brouettes et ne doutions pas une seconde de la pérennité de ces amitiés ni de notre insouciance. Au sein du groupe chacun trouva sa chacune et des enfants pointèrent leur nez, mais au gré des étés, nous continuions à nous retrouver, que ce soit pour un jour ou deux ou tout le mois d'août. Pas d'obligation, rien de formel, la certitude, seulement, de pouvoir frapper à la porte des uns et des autres et d'y trouver un bout de canapé, un verre de vin ou un reste de pâtes.
Seulement voilà, les certitudes n'ont pas beaucoup de poids face au mauvais sort.
Un soir de printemps, il y eut ce coup de téléphone de Nath, nous annonçant qu'une saloperie avait fait tourner son sang. Ça ne serait rien assuraient les médecins, une ou deux chimio et puis s'en va. Six mois plus tard c'est Nath qui s'en est allée, et avec elle ce rire qu'on entendait des Quinconces à Nansouty.
Il nous a fallu du temps pour revenir à Bordeaux, pour emprunter à nouveau ces rues de Saint-Michel sans avoir l'impression que nous allions, au détour de l'une d'entre elles, tomber sur une fille en sari aux cheveux tressés.
Mais parce que la vie se doit d'être la plus forte, nous avons réappris à aimer la ville et parfois, comme ce fut le cas en ce long week-end de pentecôte, nous allons rendre visite à ceux de ces amis qui sont restés. L'occasion de constater que si les tempes ont blanchi, les enfants grandi et les maisons remplacé les apparts un peu pourris, l'essentiel est toujours là. Les apéros commencent toujours aussi tôt, remplaçant petit à petit le repas qui, verre après verre, est remis au lendemain. Nous retrouvons le rythme de nos échanges, les confidences sur le temps qui passe, les amours parfois chiennes et dieu que c'est compliqué, parfois, d'être parents.
Trois jours qui filent en moins de temps qui ne faut pour le dire, une nuit chez les uns, une chez les autres et à chaque fois, mi casa es tu casa. Le temps de tirer des plans sur la comète de comment ce serait si d'aventure on finissait par se décider à migrer vers l'ouest et l'heure du retour à Paris sonne. Et bien que sachant que le bonheur ne dépend ni de la lumière de l'Atlantique ni du nom que l'on donne aux viennoiseries, il faut bien avouer que l'arrivée gare Montparnasse ne s'est pas faite sans un pincement au coeur, cette impression que peut-être, une autre vie nous attend, dans cet ailleurs où il fut un temps, on entendait son rire, des Quinconces à Nansouty...
Des baisers à D & M et N & R et tous leurs adorables rejetons.