Il y avait cette fille hier aux Tuileries. Pas celle sur la photo qui ouvre ce billet. Une top, en plein shooting mode. Elle était immense, très jeune, peut-être 16 ans, un peu plus, difficile à dire. Des fesses qui devaient arriver au niveau de mes épaules, des proportions presque surnaturelles et une tête qui du coup semblait minuscule, comme posée sur ce corps venu d'une autre planète. Belle, sans doute, photogénique très probablement. On aurait dit un flamant rose.
Elle était entourée d'une nuée de personnes chacune affectée à l'une des parties de son corps. Il y avait un maquilleur qui lui passait névrotiquement un pinceau sur la figure, pour éviter à son visage de luire, j'imagine. Un préposé aux cheveux, qui a du remettre en place cinquante fois une mèche qui s'affaissait entre chaque prise de vue. Une styliste, qui tirait sur sa veste, faisait tomber ses bottes toutes molles et un peu étranges dans lesquelles on aurait pu loger quatre ou cinq mollets de plus. Et puis le photographe, la rédactrice de mode aussi qui surveillait l'ensemble et deux ou trois autres qui ne faisaient rien mais qui mettaient pas mal d'énergie à montrer qu'ils avaient de très lourdes responsabilités.
Outre que la mobilisation d'autant de gens pour une photo de mode m'a semblé un peu disproportionnée, c'est l'absence de cette fille à son propre corps qui m'a glacée. Comme désincarnée, elle se laissait façonner par les fourmis ouvrières autour d'elle, sans prononcer un mot ni émettre le moindre agacement (j'aurais fini je crois par faire bouffer son bronzer au maquilleur ou coller une droite au coiffeur à la soixantième remise de mèche en place). Visage fermé, boudeur, comme peut l'être celui d'une adolescente. Et puis ce regard, vide. Poupée de chiffon, qui dit oui, qui dit non.
Je me suis dit que sûrement, si je tombais sur la photo sans avoir assisté à sa mise en scène, je me lamenterais sur ces jambes qui n'en finissent pas ou sur ce carré tombant parfaitement. Je trouverais même la tenue désirable, influencée que je suis par la répétition semaine après semaine dans les pages mode d'un même look qui la première fois me fait sourire pour finalement me donner envie de le reproduire. Je me suis dit que toute la fausseté de la scène, tous les artifices utilisés pour faire rêver les gamines ou leurs mamans m'échapperaient et qu'il ne resterait que cette silhouette gracile et ce décor buccolique des Tuileries au mois de juin.
Je ne sais pas si cette fille était aussi malheureuse qu'elle en avait l'air, je ne sais pas si pour être aussi maigre elle n'avait rien mangé de solide depuis le mois de janvier ou si c'était simplement sa nature. Et à dire vrai, je ne crois pas que ce soit la question. Je ne saurais dire non plus si tout ceci rime à quelque chose, si ce qu'elle portait et qui était sûrement très cher méritait tout ce barnum. Mais une chose est certaine, il ne faut vraiment pas se fier à ces images que l'on nous vend. Parce qu'aussi surnaturelle qu'elle soit, la fille mille fois remaquillée et recoiffée sera, c'est certain, également photoshoppée. Que la mise en scène, les décors, les injonctions au sourire ou à un air plus mystérieux parviendront à donner peut-être un peu de sens sur le papier glacé. Mais la réalité était bien triste. La réalité, c'était ce corps qui à force d'être manipulé n'était plus habité.
A part ça hier aux Tuileries ça sentait un peu l'été.