"Haaan, je viens de voir un avion super bizarre avec de la fumée noire derrière lui on dirait qu'il va s'écraser", s'est écriée la chérie alors que nous amorcions notre descente sur Hyères samedi matin.
La pauvre je me suis dit, je lui ai refilé une de mes névroses. Pourvu que ce soit la seule, ai-je continué à pensé. Non que j'en aie des tonnes mais par exemple j'aime beaucoup l'odeur de mon pipi après que j'ai mangé des asperges.
Alors que je recensais mentalement tout ce qui chez moi ne tournait pas rond histoire de ne pas m'attarder sur les soubresauts de la carlingue, le commandant de bord a alors fait une annonce: "Mesdames et messieurs, en raison de l'atterissage d'urgence d'un rafale en panne de carburant nous sommes contraints d'interrompre notre propre descente et de tourner au dessus de l'aéroport pour une durée indéterminée".
Le triomphe de ma fille que j'avais tancée d'un "n'importe quoi !" à la limite de l'aimable dix minutes avant.
Le point positif c'est que je ne lui ai sûrement pas refilé mon fétichisme des asperges. Par contre, on était probablement en train d'être sacrifiés sur l'autel de l'armée française, tout ça à cause d'un caporal imbibé ayant confondu le plein d'un rafale avec celui de son solex.
Après une demi-heure à faire le tour du paté de nuages au dessus de Toulon, on a fini par redescendre. Et m'est avis que le pilote avait piscine ou une envie pressante d'uriner mais je n'ai jamais vécu un atterrissage pareil. A savoir qu'on a ni plus ni moins fait un piqué sur la piste, sur laquelle on s'est comme qui dirait écrasés. Pas totalement, bien sûr sinon je ne serais pas là pour vous le raconter. Mais parole de scout, le gars d'à côté de moi a essuyé une larme alors qu'il était à première vue plutôt du genre à rigoler quand un chaton s'étouffe. Même l'hôtesse, une fois qu'on était sur la terre ferme, a ironisé au micro sur la manoeuvre "toute en douceur" du cinglé aux commandes du boeing (elle n'a pas dit "cinglé", mais je ne serais pas étonnée qu'elle ait depuis changé de métier).
Inutile de préciser qu'une fois parmi mes oncles, tantes et cousins, cette petite anecdote a grossi au fil des versions et qu'à la fin les twins et moi (le churros et rose étaient restés à Paris) étions tout simplement des survivants.
A part ça, deux jours donc dans cette maison dont je vous parlais déjà il y a deux ans et qui n'a donc toujours pas été vendue (je soupçonne certains membres de la famille, dont un qui vit en Chine et qui m'a toujours semblé très fort pour tout ce qui est coups en douce, de savonner la planche de l'agent immobilier, histoire qu'on puisse continuer à profiter une fois par an des charmes de cette baraque incroyable).
Deux jours entourée d'une vingtaine de marmots âgés de 5 mois à 12 ans, des frères et soeur de mon père, de ma grosse vingtaine de cousin(e)s, pièces rapportées comprises et de notre Grammy à tous.
Deux jours à prendre des nouvelles et à en donner, à rire des histoires cent fois racontées, à couper du melon, des fraises et des patates, à refuser une dixième part de carot-cake pour finir par craquer pour le gâteau chocolat - amandes qui tue.
Deux jours à passer du jardin à la plage, de la plage au jardin, à se changer derrière une voiture/tente/arbre, à consoler un marmot dont on n'arrive pas bien à savoir à qui il est tant finalement c'est quand même dingue ce qu'ils se ressemblent tous, à croire qu'il n'y a qu'un moule dans cette famille.
Deux jours à ne jamais médire parce que ça n'est pas du tout notre genre, à porter des toasts à tout va, à soulager Prisca de ses jumeaux fraichement nés, détrônant l'unique détentrice que j'étais de ce record consistant à pondre par deux. Je concède avoir passé pas mal de temps avec l'un ou l'autre de ces deux bambins dans les bras, par solidarité bien sûr mais aussi évidemment par mal du pays, cette contrée où pourtant pendant deux ans on ne fait rien d'autre que de se demander à quelle heure, putain, ils vont finir par dormir. Prisca, je te promets, il arrive un jour où on en rit. Mais cela peut prendre dix ans par contre.
Voilà, dans cette famille tentaculaire, il y a des fermiers, des exterminateurs de criquets à Madagascar, des conseillers en réinsertion, des avocats, un médecin, un spécialiste de la sécurité incendie, une kiné, un aspirant ébéniste, un cordiste qui passe ses journées en haut des buildings à installer les échafaudages, une éditrice, des banquiers qui donnent dans le social, des instituteurs et j'en passe. La plupart de ces joyeux drilles vivent dans un périmètre allant de Toulouse à Montpellier en passant par les Cévennes. Sans compter le gang des Lyonnais évidemment. On est il me semble deux seulement à vivre à la capitale, ce qui nous a valu à Emilie et moi des sarcasmes récurrents, que genre on nage "comme des parisiennes" (j'ai décidé que ça voulait dire qu'on restait élégantes même dans la flotte).
L'heure du départ est arrivée beaucoup trop vite d'autant qu'il s'agissait probablement de la dernière édition réussie de cette cousinade. Ma grand-mère m'a en effet demandé (enfin, "demandé" est une façon de voir les choses, Grammy ne "demande" pas vraiment) de me charger de l'organisation du cru 2013.
En l'apprenant mon père a manqué s'évanouir et prévoit d'ores et déjà l'exil en prévision de l'humiliation sur douze génération que va lui valoir l'honneur qui m'a été confié. Et au vu de l'empressement de mes tantes à m'assurer qu'elles pourraient m'aider, je pense que personne n'est dupe, ça va être un massacre.
D'autant que je n'ai rien trouvé de mieux que de nommer ma cousine Stéphanie premier ministre en chef et je pense qu'à nous deux nous avons autant le sens de l'organisation qu'un cheval nain.
En même temps, le responsable de cette année, Alex, qui produit donc le meilleur jus de pomme de l'univers et accessoirement vend tout un tas de produits de sa ferme, m'a expliqué que tout l'art de ce poste de coordinateur consistait à "s'insérer dans les rouages d'une organisation qui roule toute seule en donnant l'impression que c'est grâce à toi si justement ça se passe si bien". Je crois que ça, c'est à notre portée, Steph.
Bonne journée.