Trois semaines que je veux vous écrire ce billet. Et puis je suis accidentellement tombée dans une série qui avait échappé à mes filets. In treatment. Et désormais j'envisage de faire une thérapie pour tomber amoureuse de mon psy. Même si ledit psy de la série, qui ressemble un peu à Harvey Keitel mais un Harvey Keitel qui serait gentil, est bien évidemment beaucoup plus mal que la majorité de ses patients. Et ne fait absolument rien dans la vraie vie de ce qu'il suggère à ceux qui viennent le consulter...
Bref, trois saisons, quarante épisodes chacune, on n'est pas rendus.
Mais trève de diversion, j'ai quatre coups de coeur pour la rentrée. Cet été j'ai eu la chance de pouvoir lire quelques livres en avant-première et je ne vous cacherai pas que c'était un sentiment assez jouissif, comme un petit privilège d'initiée. Ce qui ne m'a pas non plus empêchée de dévorer des oeuvres publiées depuis des lustres, hein. Mais donc cet été j'ai craqué pour :
- Bois sauvage, de Jesmyn Ward, édité chez Belfond. Une énorme claque. L'auteur a l'air sur la photo de quatrième de couv d'avoir 14 ans (et est accessoirement d'une beauté renversante) et pourtant dans son style il y a quelque chose je trouve qui semble venir de loin, de très, très loin. L'histoire ? Depuis que sa mère est morte en couches, Esch, quatorze ans, s'occupe des hommes de sa famille : son père Claude, ses deux aînés, Randall et Skeetah, et Junior, le petit dernier. Esch a du mal à trouver sa place : elle couche avec les copains de ses frères pour leur faire plaisir mais c'est de Manny qu'elle est amoureuse. Et dont elle est enceinte. Ce pourrait être une chronique du bayou, d'une famille comme il y en a des tonnes le long du Mississipi, sur fond de luttes de chiens, de baignades dans la rivière et de misère, aussi. Sauf que les radios ne cessent d'annoncer l'arrivée imminente d'une tempête plus forte que les autres. Page après page, la menace gronde et l'atmosphère se fait plus lourde et moite. Parce que la tempête en question porte le funeste nom de Katrina... Il y a du Faulkner ou du Toni Morrison dans la façon d'écrire de cette jeune femme, elle même issue d'une famille nombreuse et première de sa lignée à obtenir une bourse pour l'université. Achetez-le, lisez-le, personnellement quand je l'ai refermée je n'étais plus tout à fait la même.
Tigre, Tigre, de Margaux Fragaso, chez Flammarion: Un bouquin filé sous le manteau par ma dealeuse préférée. Elle m'avait prévenue: "c'est du lourd et ça chamboule". Résultat: c'est du lourd et ça chamboule. Faisant figure de péhnomène de la rentrée littéraire, le livre est chroniqué un peu partout. Un engouement qui a sûrement à voir avec la portée très sulfureuse du sujet, mais qui est néanmoins mérité. L'auteure raconte sa propre histoire d'enfant abusée par celui qu'elle considérait comme un père, un frère, voire aussi et c'est là toute la complexité de la chose, un potentiel amoureux. Elle a 8 ans quand elle le rencontre, il approche de la cinquantaine. Le plus cruel et le plus difficile à accepter dans ce récit, c'est que cette enfant l'aime, cet homme. Passionnément et viscéralement. Et que toute la perversité de ce bourreau réside justement dans sa capacité à se rendre indispensable. En choisissant pour proie une victime que sa famille, déchirée et dysfonctionnelle ne pourra non seulement pas aider mais précipitera même dans ses griffes. C'est troublant, c'est beau aussi, parce que le style est ciselé, précis, presque chirurgical. Mais c'est aussi bouleversant, c'est de l'assassinat de l'enfance qu'il est question page après page. A ne pas mettre entre toutes les mains, âmes trop sensibles s'abstenir.
L'attente de l'Aube, de William Boyd, publié au Seuil. Vienne, août 1913. Lysander Ulrich Rief 27 ans, comédien anglais, autrichien par sa mère et fils d'un célèbre acteur britannique décédé en 1899, est venu suivre une psychanalyse avec le docteur Bensimon, anglais lui aussi. Son problème ? Il ne parvient plus à "conclure" ses ébats. Ce qui commence comme une sorte de périple initiatique d'un jeune homme un peu superficiel, très gâté et complètement narcissique se transforme très rapidement en quelque chose qui tient à la fois du roman d'espionnage, de la chronique de guerre et de la comédie romantique. On s'attache à Lysander, ce candide jeté malgré lui dans le renseignement britannique et devenu l'objet de manipulations amoureuses et politiques qui le dépassent. C'est parfois un peu compliqué et on n'a pas été trop de trois ou quatre à l'avoir lu cet été pour tenter de démêler le vrai du faux et asseoir nos certitudes quand au dénouement. C'est peut-être tout l'art de William Boyd, qui nous manipule autant que peut l'être son héros. A lire si on aime James Bond, les histoires d'espions et surtout, si l'on goûte cet humour anglais fin et parfois un peu empoisonné dont William Boyd est pour moi l'incarnation...
Les Apparences, de Gillian Flynn, publié aux éditions Sonatine. Pour l'instant, toutes les personnes auxquelles je l'ai conseillé l'ont adoré. Un tout autre registre que les deux premiers romans américains évoqués dans cette chronique, si ce n'est que l'histoire se déroule dans le Mississipi aussi. Mais là on est dans le polar, même si c'est un polar plus proche du thriller psychologique que d'une véritable enquête policière. Je n'ai pas envie de trop vous en dire parce que tout l'intérêt du livre, outre son style absolument jubilatoire, réside dans les retournements de situation auxquels on ne s'attend pas une seconde. Mais pour vous planter le décor, il s'agit donc de la disparition d'Amy, l'épouse de Nick. Amy et Nick, couple modèle new-yorkais, jeunes, beaux et successfuls, ont connu quelques revers de fortune. Journalistes tous les deux, ils ont perdu leur boulot et se sont résolus à revenir sur les terres natales de Nick, au bord du Mississipi. Nick y tient un bar et Amy... Amy s'ennuie. Jusqu'à ce matin de leur cinquième anniversaire de mariage, où Amy disparait, ne laissant derrière elle qu'une maison sens dessus dessous et quelques tâches de sang. Assez rapidement, Nick, l'époux éploré, fait figure de suspect numéro un, magré ses dénégations. Je m'arrête là, mais franchement, c'est époustouflant d'ingéniosité, on a peur, on rit aussi beaucoup parce que Gillian Flynn est très, très, très drôle. Même si sa vision du couple et du mariage n'est pas vraiment très drôle, elle...
Edit: J'oubliais un truc. Christine S., la chroniqueuse de bouquins de Psychologies magazine parle de cette drôle d'expérience qu'est la rentrée littéraire. C'est hyper intéressant et c'est drôle et c'est ici.