Il y a quelques jours je déjeunais avec deux charmantes jeunes femmes et nous devisions de la difficulté parfois de concilier vie professionnelle et maternité. Un sujet qui revient souvent sur la table pour peu qu'on soit entre mamans qui bossent (ça et l'orgasme vaginal mais là il était trop tôt). Mes deux comparses étant un poil plus jeunes que moi - trois fois rien - et de surcroit en poste, elles avaient nécessairement plus de raisons de s'en faire que moi aujourd'hui. Le fait d'être à la maison le plus clair de mon temps et d'avoir désormais des enfants plus grands - même si Rose n'a que quatre ans ce qui fait d'elle encore un nouveau né bien entendu - rend cette quadrature du cercle bien moins problématique qu'elle ne le fut pour moi des années durant.
Est-ce la vieillesse qui me fit parler ? (je vais bientôt avoir 29 ans je vous le rappelle). Je ne sais pas mais je me suis entendue prévenir avec gravité mes consoeurs déjà bien stressées de ne pas arriver à s'en aller avant parfois 19h30, qu'elles devraient faire attention. "Le temps perdu ne se rattrape plus", ai-je glissé, en profitant pour leur coller vite fait bien fait une petite citation de la grande Barbara (le boulet. Mais comment serai-je à 40 ans ? j'ai intérêt à faire gaffe).
Et d'enfoncer le clou en racontant combien personnellement j'avais eu la sensation de rater des moments fondateurs, surtout avec Rose d'ailleurs. J'ai eu en effet la chance avec mes grands de bénéficier d'un congé de maternité d'éléphante et de travailler à l'époque dans une structure semi-publique où chaque minute supplémentaire était décomptée. Je me souviens des stratagèmes pour pointer à 18h00, du manteau enfilé lentement à 17h50, du pas de cardinal grabataire jusqu'à la pointeuse, et de l'allure vive avec laquelle une fois la carte entrée dans la machine, nous filions vers le RER.
Mes twins, donc, je les ai vus grandir, tout au moins les trois premières années de leur vie. J'arrivais à 18h30 à la maison au plus tard, quand ça n'était pas avant, ce qui me laissait le temps de profiter d'eux avant de les coucher (ok, en vrai je comptais souvent les minutes là aussi pour les coller au lit, les jumeaux, toussa toussa). Mais sur le papier, si je voulais, je pouvais jouer aux barbies et faire des puzzles.
Pour Rose, ça n'a pas été la même chanson. Les deux années qui ont suivi sa naissance ont été particulièrement difficiles au boulot. Non seulement il me fallait refaire mes preuves après mon congé mais en plus l'agence dans laquelle je bossais vivait elle même une certaine mue, impliquant un rythme plus intense, des permanences le soir et souvent, même, du travail à emporter à la maison. Durant cette période, il n'était pas rare que je ne voie carrément pas Rose durant deux jours. Je partais alors qu'elle dormait et rentrait après qu'elle se soit couchée. Bon, ce que j'écris n'est pas tout à fait exact, en réalité je la voyais... la nuit, puisque la douce enfant avait manifestement compris que c'était le seul moment où j'étais disponible. Disponible mais pas vraiment disposée, hélas.
Je n'ai pas quitté mon boulot pour cette raison, mais ce fut l'une des croix dans la case des + quand j'ai pris ma décision. Et j'avoue savourer tous les jours le fait d'être avec les enfants le soir, d'avoir le temps d'écouter les histoires des grands, de les regarder, profiter de leur présence. Ils m'exaspèrent, me cassent les couilles, je leur répète toutes les cinq minutes que j'ai l'air d'être là alors qu'en fait non, je suis au travail, mais la vérité c'est que je profite jalousement de cette sensation de proximité.
Ceci étant dit, je ne prêche absolument pas pour un retour des femmes à la maison et je sais bien que tout le monde ne peut pas choisir ce modèle un peu batard consistant à transposer son bureau sur son canapé. Je n'exclus absolument pas de repartir un jour au turbin, peut-être même que ça me fera des vacances. Et à moins de gagner des centaines de patates au loto, je n'envisage pas non plus d'arrêter de travailler. Donc, comme je m'en suis par la suite excusée auprès de mes amies, loin de moi l'idée de les faire culpabiliser. On fait comme on peut et en ce moment dans les entreprises, on ne peut pas beaucoup. Il n'empêche que parfois, il est sûrement bon de se rappeler que le temps perdu en effet ne se rattrape plus. Que ces drôles de bestioles que sont nos enfants poussent comme des champignons et qu'un jour, de toutes façons, ils prieront pour qu'on ait des réunions tous les soirs. Alors dans la mesure du possible, je crois que c'est pas mal de se rappeler que personne ne mourra parce qu'on est vraiment parti du bureau à 18h45. J'ai toujours été la première à ne jurer que par la qualité du temps passé avec les enfants, plutôt que la quantité. Mais pour qu'il y ait de la qualité il faut un minimum de quantité, je crois.
Et tout ce que j'ai écrit vaut aussi pour les hommes. Récemment, mes grands sont tombés à bras raccourcis sur leur père après avoir réalisé qu'il ne connaissait le nom d'aucun de leurs enseignants ni de leurs copains, à part les deux ou trois qui squattent régulièrement chez nous. Forcément, depuis deux ans, on compte sur les doigts d'une main les repas du soir qu'il a effectivement partagés avec nous. Ce n'est pas à lui que j'en ai voulu tous ces mois - même s'il a pris pour les autres - mais à ceux qui lui mettaient la pression pour rester toujours plus tard sans voir où était le problème. Et ce billet est d'ailleurs surtout destiné aux chefs, à ceux et celles qui ont ce pouvoir de dire à leurs salariés que là, ça suffit, la vie, ça n'est pas ça, ça n'est pas QUE ça. Enfants ou pas, rajouteré-je. Parce que d'une manière générale, je ne suis pas certaine que l'être humain soit fait pour être pressé comme un citron par des gens qui un jour où l'autre le jetteront comme une merde.
Je pense toujours à cette pub suédoise je crois, où l'on voit un gars sur son lit de mort, avec en sous-titre "Est-ce que vous croyez vraiment qu'à ce moment là de votre vie vous vous demanderez si vous avez accordé assez de temps à votre patron ?". Ça me calme, en général (alors que je ne suis déjà pas hyper enervée, faut bien l'avouer).
Edit1: Ce billet n'est ni une ode à la femme au foyer, ni un manifeste anti-patrons. Juste une réflexion personnelle qui ne fait pas forcément avancer le débat, si ce n'est pour dire que travailler c'est bien, mais que la vie ne se résume pas à ça.
Edit2: Mais je suis bien d'accord que quelque part c'est aussi un luxe de se poser ces questions et que bon nombre de gens aujourd'hui ne demanderaient pas mieux que partir tard du boulot, ça voudrait dire qu'ils en ont un.
Edit3: comme je n'allais pas illustrer ce billet avec des photos de matériel de bureau, je me suis dit que j'allais en profiter pour vous montrer d'autres mignonneries vues dans ce bureau de presse. Ces chaussures en entrée de billet sont des "Minorquines" et j'avoue avoir craqué. Elles existent aussi en rose:
Et puis aussi il y avait ces sabots "Bosabo", trop meugnons
Et enfin ces lampes et guirlandes de la marque Mimi Lou (caverne d'ali baba pour qui kiffe la déco pour chambres d'enfants). Je vous parle de tout ça parce qu'à chaque fois ce sont des maisons artisanales, françaises ou pas, mais vraiment artisanales et j'aime bien ça, l'idée de ne pas toujours montrer que des trucs faits à la chaine par milliers (la fille qui s'habille chez Zara, H&M et Monoprix).