Hier, alors que j'entrais dans le salon - théâtrales, mes entrées, depuis trois jours - (si je ne connaissais pas ma date de naissance, j'aurais du mal à croire que je n'ai que 28 ans), je tombe sur mes trois enfants la mine déconfite. On pouvait lire le désarroi et l'angoisse sur leur visage.
"Ils s'inquiètent, tu comprends", m'explique leur père, tout en les étreignant.
"Non, il ne faut pas, ça va aller, je sais que ça n'est pas bien drôle cette histoire, les urgences et tout et tout, mais finalement ça n'est pas si grave", tenté-je alors de les rassurer, me rappelant combien moi même je n'aimais pas quand ma mère était malade.
"Mais oui, c'est ce que je leur ai dit, a embrayé le churros. Il ne faut pas qu'ils s'en fassent ! Je vais tout à fait pouvoir gérer la situation et mon travail n'en souffrira pas. Je vais tenir le coup !".
Et mes - soit disant - enfants de pousser un soupir de soulagement.
Je l'ai très bien pris, vraiment. D'autant qu'au cas où quiconque en douterait, quand j'ai appelé en larmes mon mari après être passée à ça de me ruiner la moelle épinière, il a certes compati, il s'est certes énormément inquiété, a certes proposé d'abandonner séance tenante son boulot, mais s'est de très bonne grâce laissé convaincre de ne pas mettre en péril sa période d'essai pour une bête histoire de colonne vertébrale peut-être brisée.
Et s'il a accompagné Rose à l'école le lendemain, c'est sûrement pour me rendre service mais probablement aussi parce qu'il m'a demandé si éventuellement je me sentais tout de même capable de le faire, j'ai eu comme un regain d'énergie, juste assez pour le menacer de lui faire avaler ma boite de laxatifs en entier s'il osait réitérer la question. Quant à l'heure à laquelle il revient le soir, que tout le monde se rassure également, elle n'a pas varié d'une seconde depuis que je suis paraplégique. Et il ne me semble pas qu'à part le premier jour où j'étais aux urgences et donc dans l'incapacité physique de préparer le repas, il ait eu à assurer la survie alimentaire de la famille.
Et pourtant, manifestement, le principal sujet d'inquiétude de la chair de ma chair - les hyènes - s'est entièrement focalisé sur la façon dont leur pauvre paternel parviendrait à surmonter matériellement et psychologiquement l'épreuve.
Non mais vraiment, d'une certaine manière... respect. Je veux dire, c'est du grand art, quoi.