Il y a le nutritionniste agressif. Apparemment, il est convaincu que les gros ne le sont que par manque de volonté. Il commence à te jauger lorsque tu entres dans son cabinet. Son œil expert lui indique immédiatement ton poids et il ne se prive pas de soupirer ostensiblement quand tu te présentes devant lui en culotte et soutien gorge. Sans un mot il te montre la balance. Tu montes dessus de mauvaise grâce et sans surprise, tu apprends que tu pèses au bas mot deux ou trois kilos de plus que chez toi. Il le fait exprès, il leste sa machine. Parce que là, ça y’est, tu en es sûre, cet homme, qui peut être une femme, t’en veut personnellement. Tu en ignores la raison. Peut-être a-t-il juste juré d’humilier une grosse chaque jour de son existence, ce à quoi il s’emploie avec une efficacité redoutable.
Après un calcul trivial, il t’annonce sans ciller que pour atteindre ton poids de forme tu dois perdre au bas mot 15 kilos. Pour y arriver il va falloir éliminer le gras, le sucre et les féculents. Ils te suggère également, narquois, le sport, au moins deux fois par semaine. Et devant ton air désespéré, ils te prévient : si tu ne maigris pas tout de suite, à 50 ans tu pèseras 90 kilos et de toutes façons, tu seras déjà morte, noyée dans ton cholestérol. Quand tu sors de son cabinet, tu es tellement angoissée que tu te rues dans la première boulangerie. Ensuite, tu pleures. Beaucoup. Tu essaies tout de même de te tenir à la discipline de fer qu’il t’a infligée. Les premières semaines sont enivrantes : tu perds – forcément, tu t’affames – il te félicite et soupire un peu moins en te regardant. Mais passés les cinq premiers kilos, ça devient plus difficile. Sans compter que tu es amincie, mais totalement déprimée. Alors un beau jour tu craques et tu finis par reprendre les cinq kilos, voire deux ou trois de plus. Le fameux effet yoyo dont parlent les magazines pour femmes minces. Tu ne revois plus jamais cet être abject.