La ronde rêvait d'aller au hammam. L'ambiance orientale, la chaleur, l'idée de s'occuper de son corps trop négligé, et puis aussi le thé à la menthe, l'odeur des huiles de massage... Mais à chaque invitation de ses amies, elle déclinait, invoquant les mêmes prétextes fallacieux que lorsqu'on lui proposait d'aller à la piscine. Parce que le hammam, bien sûr, impliquait de se dénuder et de se mouvoir ainsi en public. Sans même la perspective de s'immerger dans l'eau.
Et puis un jour, une amie de passage à Paris ne lui laissa pas le choix. C'était une fille différente, de celles à qui on ne dit pas qu'on peut pas se mettre nue devant elle, qu'on se sent trop grosse. Le style de fille qui n'aurait d'ailleurs jamais regardé les bourrelets de qui que ce soit et que ce genre de considérations futiles semblait dépasser. Non pas qu'elle fût indifférente, mais son chemin avait été et serait toujours semé d'embuches bien plus insurmontables que quelques kilos en trop.
Alors, un peu malgré elle, la ronde se laissa faire et accepta de l'accompagner. Dès qu'elle entra dans la mosquée, elle fut submergée par l'odeur de l'huile qui sentait à la fois l'amande, l'argan, le thym et la lavande. La vapeur aussi, lui fit presque peur, comme si l'air saturé d'humidité ne parvenait pas à l'oxygéner. Et puis, petit à petit, elle s'habitua. Première bonne surprise, il n'y avait pas que des jeunes femmes au corps parfait. Vieilles marocaines aux seins lourds, femmes à la maigreur maladive, futures mères et copines étudiantes formaient un groupe disparate et hétéroclite, au sein duquel la ronde pouvait presque trouver sa place.
Elle resta malgré tout un long moment entortillée dans son paréo devenu instantanément humide et collant. Son amie, elle, fut tout de suite nue, offrant le spectacle de son corps brut et sûr. Ses hanches pleines étaient rassurantes et ses longs cheveux noirs lui donnaient l'air d'une orientale. Il émanait d'elle une telle vérité, un aspect si terrien, que la ronde se sentait presque apaisée. Elles s'installèrent dans une alcôve, et commençèrent le rituel consistant à s'oindre de savon noir. Mais la ronde, toujours bridée par ses complexes, se contentait de s'enduire les bras, refusant l'idée de tomber le paréo. Alors son amie eut ce geste dont elle ne soupçonna probablement jamais les répercussion ni la portée.
D'un geste doux mais sans appel, elle ota le tissu trempé et commença à l'enduire de mélasse noire. Le dos, puis les bras, le ventre, les jambes. Elle la lava comme une mère l'aurait fait. La ronde en pleura d'émotion, ses larmes se mêlant aux gouttes de vapeur. Difficile de trouver les mots pour dire ce qu'elle ressentit. Entre ces mains énergiques et amicales, son corps devenait aimable et pouvait être touché. Elle qui avait si souvent eu l'impression d'inspirer le dégoût, devenait l'objet d'une attention inespérée. Il n'y avait pas d'ambiguité dans le geste de son amie. En la lavant elle faisait simplement d'elle son égale.
Le reste de l'après-midi, je ne m'en souviens pas. Je garde juste en mémoire ces quelques minutes de plénitude. Et regrette que cette amie, partie aujourd'hui, n'ait jamais su.