Jusqu'il y a peu, le magasin de chaussures était un des seuls dans lequel la ronde entrait sans appréhension. Bien sûr, ses pieds potelés ne lui permettaient pas toutes les excentricités, et s'entendre déclarer sur un ton définitif qu'elle avait "le coup de pied large" lorsqu'elle essayait des ballerines ou autres escarpins un peu fins, ne la remplissait pas de joie. Mais bon, la ronde s'y était fait.
Et puis le temps est venu de la mode des bottes. Les cavalières, camarguaises, santiags... Le graal de la ronde. Inaccessible objet de tous ses désirs. A son premier essai, son pied n'est même pas parvenu à se glisser jusqu'au bout. Lors d'une autre tentative la fermeture éclair n'a pas passé la cheville. La fois suivante, ayant repéré ce qu'elle pensait être un modèle plus large - supposition d'ailleurs confirmée par la vendeuse - elle crût au miracle. La fermeture éclair glissa quasiment jusqu'au bout... au prix d'une douleur certaine. Toute la graisse du mollet avait en effet par la même occasion migré vers le haut de sa jambe. Jusqu'à former une boule compacte, sorte de deuxième genou, mais à l'arrière... Forcément, l'effet censément galbant de la botte était quelque peu amoindri. De toutes façons, dès qu'elle se redressa, la fermeture se dézippa en un quart de seconde. En revanche, elle eu l'impression que son mollet, lui, ne souhaitait pas nécessairement reprendre sa forme initiale. La compression avait probablement été trop forte et la botte avait fait garot.
Au terme de nombreux essais non transformés elle se résigna à acheter toutefois le seul modèle fait pour elle. Des bottes en faux cuir élastique et s'enfilant "comme une seconde peau". Les premiers jours, elle eut l'illusion d'avoir elle aussi ses cuissardes. Elle était maitresse femme, et bien qu'elle n'ait pas de talons, elle se sentait grande. Mais à la longue, le faux-cuir perdit de sa tenue, s'élargit sous la pression de ses mollets ronds et finit par se ratatiner comme une vieille chaussette...
La ronde finit par en déduire que les bottes avaient été créées dans le seul but de stigmatiser les grosses jusque dans les magasins de chaussures.