Alors alors alors.
Je vous vois bien, là, depuis une semaine. Vous trépignez, les gens. Vous vous dites que j'ai perdu ma niaque, que je me suis assoupie sur mon féminisme, voire que je me suis assise dessus, hein ?
Ben oui, quelle autre explication à ce silence à propos de cet article délirant du Elle: "Les superwoman rentrent à la maison" ?
Et bien, heu...
En fait en ce moment le Elle j'en viens à bout le vendredi.
Pas qu'il soit si touffu que j'aie besoin d'une semaine pour le terminer. Non, que nenni ma mie. C'est juste que miss crampon n'apprécie guère que je lise. Ou que je regarde la télévision. Ou que j'écrive. Ou que je téléphone. Ou que je fasse caca.
Tu es en train de te dire que je digresse, et qu'on s'en tape de miss greffon, ce qu'on veut c'est du sang, de la castagne, du grand cri, quoi.
Et tu as raison. Et tort à la fois.
Parce qu'en réalité, ça a son importance, ce que je viens d'écrire plus haut.
En effet, j'ai lu cet article avec les yeux d'une jeune maman fraichement moulue.
Et je n'en ai été que plus ahurie.
Mais stop, avant de développer mon argumentaire, encore faut-il expliquer de quoi s'agissasse-t-il pour ceusses et celles qui ne lisent point le Elle.
En gros - tu me connais, je suis moyennement du genre à caricaturer donc crois moi sur parole - l'enquête uuuuuuultra documentée explique qu'on assiste à une tendance: le retour à la kasbah des cadres sup qui n'en peuvent plus de courir à droite à gauche et qui surtout ont envie de se "réapproprier la maternité". Avec quelques perles, du genre Charlotte, 44 ans, qui aime bien donner le sein en nuisette noire à dentelles, donc, et qui accessoirement estime qu'on devrait payer les femmes pour qu'elles restent à la maison, que pour la société ce serait un vrai plus vu que ça fait des enfants beaucoup plus épanouis. Ou Stéphanie, 34 ans, qui en plus de "constamment garder" son petit à ses côtés a décidé de ne pas l'inscrire à l'école: "j'aime l'idée de le laisser libre dans ses apprentissages", qu'elle explique, l'illuminée de la maternité réappropriée.
Attends, t'énerve pas, c'est vrai, je me moque un peu. Seulement moi la photo qui illustre l'article, elle me choque un peu. Désolée mais à quatre ou cinq ans - l'âge que semble avoir l'enfant -, je ne suis pas sûre qu'il soit sain de pouvoir disposer du sein de sa mère comme ça. Même si tout ceci est pratiqué sans la moindre ambiguité sexuelle - espérons-le -, la poitrine maternelle reste une poitrine. Et il arrive un âge où le petit garçon va bien devoir comprendre que non non non, les enfants n'épousent pas leurs parents.
Mais je m'égare encore, le sujet de l'article n'est pas celui de l'allaitement, même s'il est évidemment évoqué par quasi toutes les femmes interrogées et qu'une des personnes interrogées prônant ce retour à la maison n'est personne d'autre que... la présidente de la... Leche league. Bingo.
Mais bon, c'est pas comme si je n'avais pas déjà un peu épuisé le filon du nichon et de ses afficionados.
Et puis, le coeur du papier c'est donc le raz-de marée des mamans qui ne veulent plus bosser.
Et ce qui me rend hystérique - et le mot est faible - c'est qu'en gros à part une pauvre tribune accordée à cette brave Elizabeth Badinter qui va finir par collapser à force de voir à quel point la nouvelle génération prend un malin plaisir à piétiner des acquis arrachés dans la douleur par leurs mères, on n'a droit à aucun témoignage qui viendrait contrer l'idée sous-jacente de l'article à savoir: on ne peut pas être une bonne mère ET occuper un poste à responsabilité. Voire, on ne peut pas prétendre éduquer correctement un enfant ET travailler.
Alors déjà, moi ça me fait marrer parce que bien sûr, les femmes qui témoignent sont du genre pas trop défavorisées. Et surtout du genre qui ont des maris qui gagnent assez pour faire bouillir la marmite. Non parce que la plupart du temps tout de même, on n'a pas trop le choix. On est rarement caissière ou standardiste par plaisir. Et je parle de ces métiers parce qu'ils sont représentatifs des emplois très féminisés et souvent précaires, pas par mépris. Parce que moi par exemple je suis journaliste dans ma vraie vie et même si j'adore mon travail, c'est aussi une nécessité pour ma famille que j'aille au turbin. Vu que le loyer ne se paiera pas tout seul et que l'homme n'est pas le descendant de François Pinault. Et confidence pour confidence, après six mois de congé maternité (j'ai fait du rab), ça me fait bien flipper de retourner travailler. Ben oui, j'aimerais être rentière, comme 98% de la population. Les 2% qui restent le sont. Rentiers.
Ce qu'on oublie de dire aussi c'est que souvent, les femmes qui restent à la maison elles ne choisissent pas non plus. Rapport qu'il existe un truc de fou en France, le chômage. Et que bon nombre d'entre elles sauteraient sur le premier boulot venu si on leur en proposait un.
Donc le coup des femmes qui plaquent un boulot d'enfer pour s'occuper de leurs enfants "parce qu'elles le veulent bien", c'est moyennement généralisé.
Par ailleurs, le fait que l'homme soit par conséquent le seul à gagner de l'argent n'est pas trop abordé. Encore une fois, chacun vit son couple comme il l'entend. Je comprends qu'on puisse considérer qu'une femme qui s'occupe de la maison et des enfants fasse sa part du boulot. Il n'empêche qu'on peut appeler ça comme on veut, moi je ne connais qu'un mot pour décrire cette situation: la dépendance. A titre personnel, rien que l'idée de demander des sous à mon mari m'est insupportable. Il me semble que contribuer financièrement à la vie commune est indispensable à notre équilibre.
Mais admettons qu'on puisse très bien vivre en étant tributaire de son homme, encore une fois, je ne juge pas, chacun vit comme il veut, au risque de me répéter. Seulement voilà. Parfois, la vie réserve des surprises. Des bonnes mais aussi des mauvaises. Souvent des mauvaises d'ailleurs.
Du genre une jolie assistante qui n'aurait pas du yahourt sur l'épaule un jour sur deux, quand d'ailleurs ce n'est pas du vomi et qui finirait par devenir beaucoup plus qu'une assistante. Ou un vilain cancer qui serait récalcitrant. Ou un accident de la route. Ou tout simplement un licenciement. Voire, improbable mais sait-on jamais, une CRISE.
Bref, ce genre d'aléas qu'on redoute mais qui n'arrive pas qu'aux autres et qui fait que tout d'un coup, le choix, on ne l'a plus du tout, il faut se lever à nouveau le matin, prendre les transports en commun ou la bagnole et aller bosser.
Et quand on n'a pas travaillé pendant des années, même si c'était pour de bonnes raisons, vous savez combien on vaut sur le marché du travail ?
Rien. Ou pas grand chose.
Mais il y a autre chose qui me choque dans les témoignages. C'est d'ailleurs aussi ce qui défrise Elizabeth Badinter. Ce qui me chatouille aux entournures, c'est ce courant de pensée selon lequel la biologie justifierait la différenciation des sexes. En gros, la femme est conçue pour fabriquer des enfants et par conséquent pour les élever. Elle a du lait, donc il faut allaiter. Elle ne doit pas prendre la pilule parce que la pilule c'est mal, c'est pas bio.
On peut aussi bouffer son placenta, comme le disait l'une d'entre vous dans les commentaires récemment. On peut également faire caca dans un trou au fond du jardin et manger des racines histoire d'être total en phase avec la nature.On peut supprimer le droit de vote aux femmes. Et exiger qu'elles demandent l'autorisation à leurs maris pour avoir un emploi. Et évidemment, interdire l'avortement, moyennement "naturel" également.
Ben oui, après tout, tout ça ce sont des victoires des féministes. Les mêmes qu'il est de bon ton de railler aujourd'hui.
Enfin ce qui me gêne, c'est qu'on insinue que la seule façon de bien élever son enfant est d'arrêter séance tenante de bosser, alors que je maintiens qu'on peut être très présente tout en travaillant et que surtout, un enfant n'a pas nécessairement besoin que sa mère soit derrière lui en permanence, qu'il peut s'épanouir en compagnie d'autres personnes que sa môman, qu'il DOIT même avoir l'occasion de cotoyer d'autres référents que celle ci.
J'ajoute qu'une femme qui s'épanouit dans son activité professionnelle est plus à même je pense d'être heureuse avec son enfant qu'une femme qui n'en peut plus d'avoir le nez dans les couches.
Pour conclure, ce qui me fait froid dans le dos, c'est cette mouvance actuelle qui marque un repli sur soi, un retour de la valeur "famille", valeur que je reconnais et apprécie mais qui lorsqu'elle est érigée en refuge absolu marque une peur de l'extérieur, une peur de "l'autre" qui ne présage rien de bon.
Voilà, en gros.
Je sais, c'était long et un peu confus.
Et pourtant ça fait des jours que je phosphore là dessus.
Putain ils avaient raison les britons. Avec la grossesse, mon cerveau a fondu.
Ou alors il est parti dans mon cul.
Amis de la poésie, bon lundi.
Edit: J'avais déjà parlé du féminisme tel que je le conçois ici, si tu veux
Edit2: J'aimerais vraiment que les femmes au foyer qui liront cet article ne se sentent pas attaquées. Parce qu'il n'est pas question ici de dire qu'on est une mauvaise mère quand on reste à la maison. Il est question de dire qu'on est pas une mauvaise mère quand on ne reste pas à la maison.