Petit retour en arrière. Vendredi, j'ai donc expérimenté mon premier jour sans petit déjeuner. Cas de figure qui doit se produire en ce qui me concerne deux fois par an, en cas de prise de sang. Ou de lendemain de césarienne. Et encore. Autant dire que je n'en menais pas large. Et si je m'écroulais sur le trajet de l'école ? Et si mon coeur lâchait ? Et si je souffrais sans qu'on s'en soit jamais aperçu d'une maladie orpheline provoquant une paralysie des membres inférieurs en cas de sous alimentation matinale ?
Ok, à la question anodine de docteur Z, j'avais ma réponse: oui, ça fait peur d'avoir faim.
En ce qui concerne le pourquoi de cette peur, j'avoue que je suis au milieu du gué. Allez, je vous raconte cette folle matinée ?
- 6h45: Le réveil sonne, je suis trop contente, c'est l'heure de mon petit déjeuner.
- 6h46: Mon cerveau vient de se reconnecter. En fait c'est l'heure du début du jeûne. Je veux mourir.
- 6h47: La bonne nouvelle c'est que j'ai un quart d'heure de rab niveau sommeil. En plus qui dort dîne, donc c'est le jackpot.
- 6h49: Je me demande si je ne ressens pas les premiers signes de la faim.
- 6h50: Je vais finalement me lever pour me peser, je sens que ma balance et moi on va être en wifi ce matin, rien que le fait d'avoir prévu de zapper un repas, j'ai du perdre un kilo. Vu que maigrir c'est dans la tête.
- 6h51: Ma balance n'est manifestement pas au courant que maigrir c'est dans la tête.
- 7h02: Ce qui est génial dans le fait de sauter le petit déjeuner c'est que je vais profiter un quart d'heure de plus de mes enfants. Dans une vie de mère ce n'est pas rien.
- 7h04: Ma fille profite de ce quart d'heure pour me confier ses états d'âme vestimentaires. Je sens qu'on va vivre un vrai moment mère-fille, là, j'en oublie totalement ma faim. Comme quoi maigrir c'est vraiment dans la tête.
- 7h05: Devant une armoire pleine à craquer, ma fille adorée m'explique sans ciller qu'elle n'a rien à se mettre. Raison invoquée: en CM1 on ne met plus de jupes. Que des jeans. Or son unique jean est au sale.
- 7h07: A ma connaissance j'ai acheté une dizaine de jeans durant les six derniers mois, objecte-je en souriant rapport à l'importance de nouer des relations de confiance avec ses enfants. "Oui mais y'en a qu'un qui est slim". ça c'est sûr que c'est un problème que je ne connais pas. Tous mes jeans son slim. Même mon sarrouel fait slim. C'est décidé je vais aussi sauter le déjeuner.
- 7h08: Je respire avec le ventre - vide - et propose trois tenues différentes à ma fille. Tout de même, c'est génial cette complicité qui est en train de se nouer entre nous. Tous ça grâce à ma démarche diététique. Franchement la nourriture est une perte de temps et nuit à l'entente familiale. J'ai envie d'écrire une chanson, là.
- 7h09: Aucune des tenues concoctées avec amour ne plait à ma fille qui reste en culotte à soupirer devant son placard. A chaque suggestion elle me regarde consternée. Quand je lui demande, légèrement crispée, ce qu'elle voudrait vrament mettre histoire que je ne gaspille pas mon quart d'heure de rab à jouer aux rédactrices de mode pour rien, elle répond dans sa barbe des choses que je ne comprends pas. A moins que ce ne soit la faim qui m'ait rendue sourde.
- 7h11: Si je n'avale pas quelque chose dans la seconde je lui fais bouffer son jean sale.
- 7h12: Je finis par balancer la moitié de son dressing et je déclare forfait en lui expliquant que je refuse de commencer cette journée par un conflit. J'avertis également que toutes les jupes, robes ou autre leggings achetés à la sueur de mon labeur seront dès demain distribuées aux petites filles qui en ont vraiment besoin. Emportée dans mon élan je lui propose aussi de changer de maison et de maman si la sienne n'est pas à son goût.
- 7h13: Je suis super impressionnée, ne pas manger n'affecte en rien mon self control.
- 8h00: Après avoir interdit de télévision mon fils pour deux mois pour cause de miettes par terre, privé de sorties Helmut jusqu'à sa majorité et déclaré la grève du sexe à l'homme sans raison valable en ce qui concerne ces deux dernières punitions, je pars sereine au travail. Non sans avoir bourré mon sac de collations pour une éventuelle défaillance sur le trajet.
- 8h22: Je suis extrêmement surprise, je parviens à marcher jusqu'au bus sans m'écrouler. Aurais-je des réserves ? Même que je me sens presque bien.
- 8h23: Si ça se trouve je suis en train de produire des endorphines comme les marathoniens.
- 8h25: Là à tous les coups j'ai maigri, mon corps est en train de bruler les calories comme un malade. ça me donne une pêche, ce midi je file chez zara et j'essaie un carrot-pant en 38.
- 8h29: Je suis en pleine expérience transcendantale. A mon avis le jeûne provoque une réaction chimique dans mon cerveau. C'est comme si je flottais dans un océan de bonheur. Je pourrais conquérir le monde, tout ça sans tartines. Je me demande si toute cette confiance à l'intérieur de moi ce n'est pas un peu dangereux.
- 8h34: J'ai envie de vomir. A tous les coups c'est mon corps qui m'envoie un signal. Heureusement que je suis là pour l'écouter le pauvre. Là, c'est un cas de force majeure. Je vais peut-être prendre une légère collation. D'autant que si on considère qu'habituellement je mange à 6h45, on peut dire que j'ai fait preuve d'une sacrée résistance. Comme quoi avec un peu de volonté...
- 8h35: Ou alors c'est la gastro.
- 8h37: Ou alors mon corps se purifie. Et je suis à deux doigts de tout foutre en l'air avec ma collation.
- 8h39: Je suis complètement perdue. C'est compliqué de faire connaissance avec la faim.
- 8h40: Je remets ma collation dans mon sac. Je peux tenir, yes I can.
- 8h41: Si ça se trouve je n'aurai plus jamais envie de manger.
- 8h43: Je me sens très proche de Gandhi.
- 9h00: J'arrive au boulot. Je me demande si ça se voit sur mon visage que je suis en communication avec mon moi intérieur. Et aussi avec Gandhi.
- 9h02: "T'as la grippe A ou quoi, t'as une de ces mines ?" me demande le premier collègue que je croise.
- 9h05: Zermati, pardonne lui, ils ne sait pas ce qu'il mange.
- 9h10: Je commence à bosser tout en louchant vers le sachet de croissants que je viens d'acheter pour mon repas que je prendrai quand j'aurai vraiment faim.
- 9h13: J'en ai pris deux au cas où un ne suffirait pas mais au point où j'en suis avec mon moi intérieur, nul doute que la satiété je vais te la chopper au vol après deux bouchées. J'aurais dû prendre une mini viennoiserie, j'ai horreur du gachis en plus.
- 9h17: Est-ce que les tremblements signifient que mon corps se désintoxique de la nourriture ou que je suis à deux doigts de la catalepsie ?
- 9h23: Respect à tous les grévistes de la faim du monde entier.
- 9h27: Je titube jusqu'aux toilettes, histoire de vérifier cette histoire de gastro quand même. A cause des suées. Et des crampes d'estomac.
- 9h29: J'ai envie de manger le rouleau de papier. M'est avis que c'est le début de la faim.
- 9h32: Je tiendrai jusqu'à 10h00, il en va de mon honneur.
- 9h46: Comment ça doit turbiner au niveau du métabolisme là. A mon avis mes enzymes sont en train d'attaquer la deuxième couche de gras. A moi les cuissardes Prada. Quelle merveilleuse machine que le corps humain, quand on y pense. Il suffit de lâcher prise et tout revient dans l'ordre.
- 9h48: C'est décidé, je ne vais manger que la moitié d'un croissant, tant pis pour le gaspi. Le pire c'est que ce n'est même pas une question de volonté, j'ai juste totalement changé mon rapport à la nourriture.
- 9h57: Ce qui ne signifie pas que je vais me laisser mourir non plus.
- 9h59: Or ne manger qu'un demi croissant reviendrait quasiment à me suicider. J'ai des enfants quand même.
- 10h00: On ne grossit pas quand on a faim.
- 10h10: Je ne suis pas loin de la satiété, je le sens. Mais à mon avis, en mangeant le deuxième croissant, j'en serai certaine. En plus que de toutes façons, je ne remangerai que quand j'aurai à nouveau très faim. Et si ça se trouve ça sera vers 20h00. Voire demain. Je ne vais quand même pas tenir 48h avec un seul croissant dans le coco, non ?
- 10h12: Même Gandhi il l'aurait bouffé, le deuxième.
- 10h14: C'est d'un facile d'écouter son corps. Vivement que j'ai à nouveau faim, putain.