Vendredi, c'était ma troisième visite chez le docteur Z.
Zermati pour les intimes.
Pour commencer, je suis arrivée sans mon calepin dans lequel j'étais censée avoir noté mes impressions après mes quatre jours de semi-jeune.
On peut dire que c'était un acte manqué, sauf que pardonnez-moi mais j'avais bien fait mes devoirs.
Heureusement, ce bon docteur Z, non content de ne pas m'infliger l'humiliation quinzomadaire de la pesée, n'est pas non plus du genre à vous engueuler d'avoir oublié son cahier. Nouveau bon point.
Qu'à cela ne tienne, donc, je lui ai fait part de mes observations par oral. Qui étaient les suivantes.
Le premier jour, j'ai tenu héroïquement deux heures sans mon quotidien petit-déjeuner. Non sans avoir eu très très peur d'y passer. J'ai ensuite boulotté deux croissants, consciente que le deuxième était de trop. Par contre, j'ai ensuite attendu jusqu'à 16h pour avoir à nouveau faim, j'ai là mangé une petite gougère de rien du tout et une madeleine. Le soir, une soupe et au lit, vers 22h.
Ok, on me souffle dans mon oreillette que je viens de perdre une centaine de lecteurs, mon carnet alimentaire n'intéressant que moi.
Bref, sans entrer dans les détails, les jours suivants j'ai repoussé un peu plus l'heure du premier repas de la journée et me suis contentée de collations beaucoup moins importantes. J'ai pu avoir la confirmation qu'en effet, quand on a faim, on ne grossit pas, ne m'étant privée de rien de ce qui me faisait envie. J'ai aussi compris que tant qu'à faire, on ne commence pas sa journée alimentaire par un petit verre de blanc, encore moins en compagnie de quasi-inconnus, ça la fout assez mal.
J'ai aussi constaté qu'on ne se gave pas quand on mange avec la dalle, je ne saurais l'expliquer, peut-être tout simplement parce qu'on sent physiquement les effets de la satiété, rapport qu'on avait bien conscience de sa faim.
Autre enseignement: je peux tenir debout en avalant moitié moins de calories que ce que je boulotte d'habitude.
Surtout, et là il semblerait que le docteur Z considère que c'est le plus important, j'ai éprouvé du plaisir à manger. Je veux dire, un plaisir non entaché par la culpabilité.
Conclusion, quand on a faim, on ne s'en veut pas de manger. Et donc on ne grossit pas.
Après avoir fait ce petit bilan, j'ai quand même interrogé le docteur Z. "Dites moi", que je lui ai demandé de l'air de celle à qui on ne la fait pas. "C'est bien gentil tout ça, mais je me connais, moi. En ce moment, j'arrive très bien à me contenir. Pas de pulsions et quand j'en ai, je contrôle. Mais quid de dans un mois ? Ou deux ? Quand tout ça n'aura plus le goût de la nouveauté ? Parce que moi, autant vous dire que je suis la championne des journaux intimes arrêtés au bout de dix jours, des grandes résolutions tenues un mois et du classement de papiers qui ne durent pas plus que le temps d'acheter une boîte d'archivage. Bref, ce serait pas un peu trop comportementaliste, votre méthode ? (sous-entendu, c'est quand qu'on parle de ma mère et de comment c'est de sa faute tout ça ?)*"
Là, le docteur m'a regardée pas trop dupe, soupçonnant que je savais à peine ce que c'est que le comportementalisme et qu'on avait dû me la souffler, ma question.
Et il a répondu qu'en effet, là, on en n'est qu'au début du voyage. Que pour comprendre le pourquoi des pulsions, il faut déjà les identifier. Et pour les identifier, il faut savoir quand elles arrivent. Et que pour savoir quand elles arrivent, il faut parvenir à les différencier des moments où on mange parce qu'on a vraiment faim. Et que donc, travailler sur la notion de faim, c'est le commencement. Mais que pas de panique, on va travailler sur mes émotions. Voire même que je vais pas y échapper.
Au mot "émotion", vlam, de nouveau les yeux qui piquent.
ça promet.
Ensuite, on est passés à un autre exercice, un peu new age. On va apprendre à respirer, qu'il m'a dit. Et le voilà qui me colle une sorte de pince à l'oreille reliée à un fil branché à l'ordinateur.
Croyez moi ou non, moi et ma grande gueule - surtout dans les couloirs, la grande gueule - je n'ai pas demandé à quoi ça servait, j'ai supposé que ça devait lui permettre de lire mes pensées ou un truc dans le genre.
Il m'a demandé de fermer les yeux et de me concentrer sur ma respiration. Pour faire simple, je dirais que ça ressemblait furieusement à un exercice de relaxation, celles qui ont suivi des préparations à l'accouchement ou pratiqué le yoga verront de quoi je parle. Et comme c'est de rigueur dans ce genre de rituel, il m'a demandé, tout en me concentrant sur ma respiration, de choisir une image agréable.
Là, grosse panique, comme à chaque fois dans ce cas là. Impossible de me fixer sur une seule image agréable. Un peu comme quand tu vois une étoile filante et que tu as tellement de voeux à faire que tu te retrouves dans l'impossibilité d'en choisir un et que du coup, pof, l'étoile elle est déjà morte depuis trente millions d'années que toi tu en es encore à hésiter entre gagner au loto, trouver l'amour de ta vie ou trouver un vaccin au sida.
Bref, ça m'a bien occupée de chercher mon image agréable. Un coup j'étais dans la mer d'huile en corse, un autre sur un télésiège au dessus des pistes immaculées, un autre dans les bras de mon amoureux. Au final, j'ai retenu le visage d'Helmut quand elle est sortie de mon ventre.
Et pan, yeux qui piquent.
Pile au moment où l'exercice était terminé.
"ça va ?" qu'il m'a demandé, avec la voix du médecin qui voit bien que ça va moyen.
"Impecc, c'est juste la lumière qui me brûle les yeux". Menteuse.
Va y'avoir du boulot rapport aux émotions, c'est peu de le dire.
Bon, je vais la faire courte parce que je bats les records de longueur de billet, en gros, cet exercice "de pleine conscience", sert à voir comment les pensées "parasites" viennent polluer notre attention censée se concentrer sur un seul objet. En l'occurence la respiration, mais ça aurait pu être un stylo.
Ou peut-être un petit salé aux lentilles.
En gros - mais ça n'est pas très clair pour moi, je demanderai éclarcissements la prochaine fois, merci l'esprit d'escalier -, il semble que l'idée c'est d'arriver à se concentrer sur son corps et ses sensations. En tous cas, la consigne est de m'accorder avant les repas trois minutes de "respiration - relaxation". A voir si j'y arrive. Il a ajouté que je pouvais le faire dans les moments d'anxiété.
Anxiété, anxiété, est-ce que j'ai une gueule d'anxiété ?
Voilà, ensuite il m'a donné mes autres devoirs, à savoir expérimenter durant les deux semaines qui viennent une petite faim, une moyenne faim et une grosse faim. Noter les impressions, les désagréments et les sensations une fois à table. Le but du jeu étant de trouver la "bonne" faim, celle qui combine petits désagréments et satisfaction quand on y met faim fin.
Parce que donc, le but, m'a répété le docteur Z, ce n'est pas de se rendre malade. Et d'ajouter que la grosse faim, souvent, elle n'est pas très facile à satisfaire. Quand c'est plus l'heure, c'est plus l'heure et le corps se venge.
Voilà pour aujourd'hui.
Edit: A la fin de la consultation, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai expliqué au docteur que je tenais un blog dans lequel je parlais, parfois, de lui. J'ai ajouté que si ça lui posait un problème, j'enlèverais son nom. Il m'a répondu que pas du tout, que vu le temps et l'énergie qu'il consacrait à défendre sa vision des choses, il n'allait pas bouder son plaisir. Je lui ai donné l'adresse, en lui disant qu'il faisait comme il voulait, que moi je ne voyais pas d'inconvénients à ce qu'il lise ce que j'écris sur lui, après tout c'est la moindre des choses. Il a eu ce scrupule qui l'honore de craindre que ça ne bride ma "spontanéité". J'ai argué que je parlais ici de choses que je n'aurais jamais envisagé porter à la connaissance de la netterie mondiale. Encore moins à celle de ma mère. Bref, faites comme vous voulez, docteur.
Edit2: j'ai créé une rubrique "Zermati and me" pour que vous puissiez retrouver facilement les billets, je ne sais pas si ça vous manquait, mais dans le doute...
Edit3: L'image agréable que j'ai mise là, c'est une photo prise maladroitement par mes enfants le jour de notre mariage, juste avant que la fête commence vraiment. J'aime cette brume de chaleur de la fin de journée et la sérénité qui s'en dégage. J'aime revoir ce jardin de mes parents décoré pour la fête avec les moyens du bord. J'aime le souvenir de ces fleurs parfaites bichonnées par ma maman pendant des semaines pour qu'elles éclosent pile poil le jour J. Voilà mon image agréable, la prochaine fois je n'hésiterai pas.
* Maman, je sais bien, que tout n'est pas de ta faute, c'est juste qu'une thérapie où on ne se lâche pas sur sa mère, c'est pas une thérapie, si ?