"Et alors, maintenant, comment décririez-vous votre façon de manger ?", m'a demandé il y a une semaine le docteur Zermati.
- Mmmm... Je dirais que je suis plus détendue face à la nourriture, il y a des jours où je ne pense même pas à ce que je vais manger, ni à la thérapie, je me laisse guider par mes besoins et mes envies. J'ai même l'impression d'arriver à m'arrêter à la fin d'un repas sans que ce soit raisonné, juste parce que j'en ai eu assez. Bon, ce n'est pas non plus le cas systématiquement, mais rien à voir avec ce qui se passait avant.
- On peut dire que ça devient naturel ?
Oui, c'est ça, en somme, ça devient naturel, ai-je acquiescé. Et puis quelques secondes après, toujours cette fichue manie de trop l'ouvrir, j'ai ajouté: "par contre, il y a quand même encore un cas de figure dans lequel je suis angoissée, c'est quand je suis invitée". "A cause de l'apéro, je veux dire".
- Vous avez peur de boire trop d'alcool ? (mine un peu inquiète du médecin qui se demande si de légèrement boulimique la patiente est passée à sérieusement alcoolique)
- Ah nooooon, le rassurai-je immédiatement. A cause des noix de cajou.
Ah. "Les noix de cajou", fit-il d'un air entendu.
- Non c'est très sérieux, je ne sais pas m'arrêter. Je pense qu'ils mettent de la cocaïne ou quoi dedans, je ne vois que ça, je ne suis plus moi même devant un bol de noix de cajou. Et là, franchement, je ne sais pas gérer.
- Chez vous, vous faites comment, alors ?
- Chez moi ? C'est simple, y'en a pas. Je ne suis pas folle vous savez (tribute to Foresti)
- Ah bon ? Vous adorez ça mais vous n'en achetez pas ? (air exagérément étonné du thérapeute qui veut faire passer un message) Qu'est-ce que vous servez du coup à l'apéro ?
- Ben... des tomates cerise, éventuellement des morceaux de fromage, ou des carottes crues, ou...
- Et c'est bon ? (air ostensiblement sceptique du thérapeute qui veut me faire dire que les tomates cerises ça pue)
- Heu... oui, bien sûr... (fille à deux doigts de craquer)
- Aussi bon que les noix de cajou ? (passage du thérapeute à la vitesse supérieure, à savoir le sarcasme)
- Évidemment que non ! (patiente tombée à pieds joints dans le piège du thérapeute)
- Et les gens préfèrent les tomates cerises aux noix de cajou ? (Air triomphant du thérapeute qui sait qu'il vient de porter l'estocade)
- J'en doute mais je m'en moque, tout ce que je sais c'est que moi du coup je ne tombe pas dedans la tête la première. (Et pan, prends ça Sigmund, imparable)
- En somme vous préférez servir à tout le monde un apéritif dont vous savez qu'il est beaucoup moins apprécié que ce que vous pourriez offrir, uniquement dans le but de ne pas en manger, j'ai bien compris ? Et, si je puis me permettre, vous en mangez quand même des trucs que vous mettez sur la table ?
- Heu... oui, mais c'est moins pire que de manger des noix de cajou ou des pringles. Non ?
- ...
Ok.
Zermati 1, Patiente, 0.
Cette joute verbale a donc débouché, vous vous en doutez, sur un petit exercice que Zermati affectionne tant.
Pendant quatre jours, je devrai mon repas de midi par des noix de cajou, voire - docteur Z est magnanime - un mélange de ces délicieuses saloperies et de chips, springles ou autres chipsters. En gros, même chanson qu'avec le chocolat. Sauf que là, si une heure après j'ai encore faim, je dois remanger de ça et rien d'autre. Par ailleurs, je dois en prévoir une assez grosse quantité pour qu'il en reste.
Et le reste...
Je le jette.
Tous les soirs.
Pourquoi jeter ? Parce que selon le doc, continuer à manger un aliment alors qu'on a plus faim, c'est ni plus ni moins considérer son estomac comme une poubelle. Voire comme une déchetterie. Il n'est pas pour le gaspillage, mais il ne voit pas en quoi balancer des restes à la poubelle est plus du gachis que de le avaler alors qu'on n'en peut plus et que ça ne nous fera donc pas de bien.
Bref, me voilà obligée donc de manger des noix de cajou quatre jours de suite. La tuile.
Je précise que contrairement à ce qu'on pourrait penser, le but n'est pas de me dégouter à vie des noix de cajou. L'objectif est je crois de me faire découvrir à partir de quelle quantité de noix de cajou je ne prends plus de plaisir.
Pas sûre que ça règlera totalement mon souci de l'apéro, lié également je crois à l'espèce d'anxiété que j'éprouve en début de soirée lorsque je suis entre amis, je ne sais pas, la peur que la mayonnaise ne prenne pas, qu'on s'ennuie, que je ne dise pas les choses qu'il faudrait, etc etc etc. Mais bon, j'ai décidé de faire confiance à mon thérapeute, alors inch'allah et à moi les noix de cajou. Bordel.