La première fois qu'on est allés à l'hôpital Trousseau, c'était pour le machin, il avait quelques mois et on trouvait qu'il respirait vraiment mal malgré la ventoline, la bécotide et tout l'arsenal anti-bronchiolite que la pédiatre nous avait fourgué. Quand je dis "on" est allés, je devrais dire "l'homme", parce que bien sûr, c'était à 3h du matin et que jumeaux obligent, il fallait rester avec la soeurette qui ne tarderait pas à tomber malade mais deux ou trois jours après parce que c'est plus drôle.
Sur les coups de cinq heures, l'homme est revenu tout penaud avec comme seule prescription THE lavage de nez, dont on apprendrait peu à peu que c'est en somme LE classique de la parentalité, LE savoir-faire qui ne s'acquiert que peu à peu, LA réponse donnée neuf fois sur dix aux parents angoissés qui consultent dès que bébé mouche.
Au cours des semaines suivantes, on n'a pas hésité à y retourner, toujours à des heures indues bien évidemment - pourquoi les gamins se mettent-ils à cracher leurs bronches toujours au beau milieu de la nuit, hein ? A part pour nous rendre chèvres, je ne vois pas - avec systématiquement le même verdict: MOUCHEZ-LE. Verdict donné néanmoins avec une perpétuelle et constante gentillesse, et une absence totale de mépris ou de jugement sur le mode "vous nous avez fait perdre notre temps". La même phrase était en outre toujours prononcée: "mieux vaut venir pour rien que de louper quelque chose". Pas très "sécurité-socialement correct", on est d'accord, les consultations aux urgences pour une banale rhino, ça coûte, hein, ma pauvre Roselyne.
Pourtant, c'est grâce à ces mots qu'en décembre 2000, à 4h du mat, après avoir vidé douze litres de sérum dans les narines du machin et vaporisé dix mètres cube de ventoline dans le babyhaler, que l'homme est à nouveau reparti, direction Trousseau. L'enfant respirait vite, très vite, trop vite et tant pis si on passait pour des cons, après tout le ridicule ne tue pas.
L'asthme, si.
Et cette fois-ci, on n'a pas entendu la même chanson. Après deux secondes grand max dans la salle d'attente, l'interne de garde a repéré les premiers signes du manque d'oxygénation, lèvres décolorées, teint gris, respiration haletante. Tout est allé ensuite très vite, mise sous oxygène, cortisone à bloc, nébulisateur, surveillance des signes vitaux. Au terme d'une semaine à ce régime, on est repartis avec un machin qui pétait la forme, mais entre temps, il y eut quelques heures difficiles à surveiller la fameuse "sat" (indicateur de la saturation en oxygène) en priant pour qu'elle ne redescende pas.
Si je raconte tout ça, c'est parce qu'aujourd'hui, l'avenir de Trousseau est en danger. Pour rationaliser les dépenses, dans le cadre d'une réorganisation des hôpitaux de Paris, il est en effet prévu de fermer cet établissement exclusivement dédié aux enfants. Les parents devront emmener leurs chérubins ailleurs, plus loin, à Necker ou à Robert Debré, qui sont sûrement de très bons hôpitaux. Sauf que parfois, ça se joue à quelques secondes, que l'idée d'aller à l'autre bout de Paris peut décourager un papa endormi. Sauf que je ne peux pas croire que supprimer un hôpital entier ne va pas se faire sentir.
Si mon machin est aujourd'hui un grand gaillard qu'il faut supplier encore très souvent de se moucher mais qui est grâce au ciel en pleine santé, c'est grâce à tous ces médecins et infirmières qui ont pris du temps et ne nous ont jamais humiliés pour excès d'anxiété. Si ma fille ne fait plus d'angines à répétition, c'est parce qu'un othorhino de Trousseau a décidé un jour que ça suffisait et lui a enlevé ses amygdales pourrites. Il a également ôté celles de son frère qui étaient extraordinairement grosses - qu'est-ce que j'aurais aimé que mes enfants n'essaient pas à ce point de se distinguer - et menaçaient de l'étouffer. Et quand deux semaines après le gamin est arrivé sirènes hurlantes pour avoir ouvert la plaie avec une biscotte, c'est le grand professeur qui a agi dans la seconde. Sans même l'engueuler alors que les biscottes avaient été proscrites. Que dire de ceux qui ont veillé le machin, encore et toujours, le jour où il avait gobé son clou ? Et de cette fois où mon maladroit de fils avait glissé sur une couverture pendant la sieste à l'école (si, si, traumatisme crânien pendant la sieste, véridique), dégobillant partout une heure après l'impact, tant et si bien que hop à trousseau avec les pompiers ? Des histoires comme celles-ci j'en ai plein, merci les prématurés qui mettent cinq ans à devenir à peu près costauds. Et je ne doute pas que d'autres, beaucoup d'autres ont les mêmes.
Alors aujourd'hui, je me dis que c'est à mon tour de leur rendre service à tous ces gens de bonne volonté. J'ai commencé par signer la pétition pour un Nouveau Trousseau. Et je me suis dit que j'allais me servir de cet espace pour leur rendre hommage et vous inviter à signer vous aussi.