Donc hier, j'ai pris un avion très tôt pour revenir de Madrid. Le genre d'avion que tu dois te lever avant 6h du matin pour le prendre, même si tout le monde dit toujours que rien ne sert d'arriver trop tôt à l'aéroport, il se trouve que mon léger problème avec ces engins volants me rend la vie un poil compliquée les jours où je le prends. Ok, bonne à enfermer. Ou pire, à aller témoigner dans une émission de Delarue.
Allez, je vous raconte.
4h39: Réveil en sursaut. Où est mon téléphone, en plus c'est bientôt l'heure de me réveiller et si je ne le trouve pas je vais rater mon avion.
4h41: Téléphone retrouvé. Putain il ne me reste plus qu'une heure à dormir, il faut que je me dépêche. Sauf que je ne suis pas sûre de savoir comment me dépêcher pour me rendormir. Ce qui est un vrai problème.
5h12: En même temps l'intérêt de ne pas arriver à me rendormir c'est que j'ai peu de risques de ne pas entendre mon réveil. CQFD. Je suis brillante.
5h24: Est-ce que ça vaut le coup ou non de me rendormir, c'est la question.
5h34: Là c'est évident que ça ne vaut plus la peine. Je vais rester quand même dans le lit jusqu'à ce que l'alarme sonne.
5h45: Je confirme ça ne valait pas le coup, j'étais bien plus en forme il y a dix minutes, là j'ai l'impression qu'il est 23h55 et que la nuit est devant moi.
5h55: Où est mon billet électronique ? J'ai perdu mon billet électronique. C'est l'horreur, merde, il est où, ce chien de billet électronique ? Les éléments sont contre moi, c'est mauvais signe, putain, c'est TRES mauvais signe. Ou alors c'est justement un coup de pouce du destin. Pour m'éviter de prendre le vol A4566 qui va se scratcher au dessus du pays basque. Sans moi rapport que je n'aurai pas retrouvé mon billet électronique à temps.
5h56: Dans ma main gauche. Il est dans ma main gauche. On oublie cette histoire de pays basque alors qu'on ne le survole certainement pas. Ok, je suis opérationnelle. Je mets immédiatement ce damné billet dans la poche intérieure de mon sac avec mon pass...
Merde, le con, il s'est barré.
5h57: Là. Il est là, dans le fond de mon sac. Je le laisse, au moins je me rappellerai qu'il y est.
6h01: Je me douche rapide et ensuite je m'habille et je fais un tour de la chambre pour être sûre de ne rien oublier. Surtout mon chargeur, j'en suis au quatrième oublié dans une chambre d'hôtel. Grâce à moi il y a un trafic parallèle de chargeurs blackberrys. Je fais plonger le marché, c'est évident.
6h03: Chargeur qui est donc bien dans ma valise. Je le sors et je le mets bien en évidence pour ne pas l'oublier.
6h15: Une douche et ça repart.
6h17: C'est quoi ce string ? J'ai jamais pris de string, je rêve ou quoi ?
6h16: Au temps pour moi c'est mon soutien-gorge. Et ma culotte... Ma culotte est avec mon passeport et ça c'est extrêmement bizarre.
6h18: Cool il me reste dix minutes pour faire le tour de la chambre et ensuite je ferme. Et ensuite je prends mon taxi. Et ensuite je monte dans l'avion.
6h21: Sauf si le volcan s'est remis à cracher.
6h22: Cette saleté de volcan.
6h23: Qui aurait tout de même pu être un peu plus endurant. Histoire que plus jamais je n'ai à subir l'épreuve de l'avion. Après tout il y a de formidables reportages à faire en banlieue parisienne. Sans compter tout ce qui est protection de la planète.
6h24: ça me rend malade quand j'y pense. On avait une occasion rêvée d'en finir une bonne fois pour toutes avec les émanations de CO2 et pan, voilà que l'autre crétin au nom imprononçable ne tient pas sur la longueur. Volcan de mes deux.
6h25: Où est mon passeport ?
6h26: Dans le fond du sac, parfait, même si on se demande comment il s'y est retrouvé. Par contre mon téléphone, aucune idée. Je suis mal.
6h27: Sur la table de nuit.
6h28: Je récapitule: passeport, ok, carte bleue, ok, billet électronique... ok, téléphone, c'est bon. Vamos.
6h29: Chargeur. J'y ai pensé. J'ai pensé au chargeur AVANT d'être en salle d'embarquement. c'est un signe. Et à mon avis, pas un bon. Tant pis, je prends le risque de partir quand même. Dès que j'ai retrouvé ma clé électronique. Qui est dans la porte. Tout va bien, je ferme et j'appelle l'ascenseur.
6h30: Mon ordinateur. Resté sur le lit. C'était moins une. C'est pas comme si c'était important non plus, hein.
6h31: Hola quetal signor, aeroporto por favor, terminal due... dos, quoi.
7h00: Vol pour Paris, Gate E 72. Jusqu'ici tout va bien, ces chiffres me parlent, pas de 3, c'est un signe.
7h02: Mon passeport. Merde, mon passeport. Il est resté dans la salle de bain, c'est sûr.
7h03: Hola signora, ouno momento por favor, I have lost my pass... ah, no, it's here, my god, thanks.
7h05: La signora ne semble pas vraiment désireuse de partager une bière avec moi. Ni même un moment de franche camaraderie.
7h07: Donc: mes chaussures dans un bac, ma trousse de toilette dans l'autre, mon ordinateur dans un troisième. Ma valise-cabine là, mon sac à main, tout y est, allez, zou, tout ce petit monde passe au scanner et on n'en parle plus.
7h08: Hein, quoi, what ? Passeport ? Putain mais je VIENS de te le montrer, signorita, ça va, là, non ?
7h10: Non, ça ne va pas, même en espagnol je comprends.
7h12: D'accord, d'accord, on ne va pas appeler la police des frontières de suite, hein, on se calme, mon passeport, s'il n'est pas retourné avec ses petites jambes dans la salle de bain de l'hôtel où d'ailleurs il n'a jamais été, devrait se trouver...
7h13: Dans ma main droite.
7h14: Je ne suis pas folle vous savez.
7h16: Je remets mes chaussures, je range mon passeport, ma carte d'embarquement ici, ma carte bleue dans ma poche pour acheter des cigarettes. Je remets mon manteau, je récupère ma trousse de toilettes, je referme ma valise.
7h18: Ma valise qui est...
7h19: Ma valise qui est...
7h20: MA VALISE QUI EST...
7h21: Sur le tapis.
7h22: C'est complètement con une valise. Tu crois que ça te ferait un signe, quelque chose ?
7h23: La prochaine fois je ne prends RIEN, j'achète des slips en papier et je garde le même jean. Et je me couds mon putain de passeport à l'intérieur du manteau, histoire qu'il arrête de vouloir se planquer dans la salle de bain.
7h32: Il n'empêche que je ne voudrais pas dire, mais mise à part une légère angoisse d'oublier mes affaires ce qui est entre nous d'une grande banalité en plus d'être totalement légitime, je suis plutôt zen. A peine si j'ai fait gaffe à ne pas marcher sur les lignes blanches par terre.
7h34: Mais là ça ne compte pas étant donné que c'est connu que ça porte singulièrement la poisse aux gens qui s'apprêtent à prendre l'avion.
7h35: Par exemple, là, l'inconsciente devant, je ne donne pas cher de sa peau, elle n'ar-rê-te pas de piétiner la ligne.
7h36: Putain, elle s'assied Gate E72. MA GATE. Elle prend le même vol que moi.
7h38: A cause de cette femme d'un égoïsme inouï et n'ayant aucun sens des responsabilités, on va tous y passer. Alors que je me donne un mal de CHIEN depuis ce matin à éviter tout ce qui ressemble à une ligne blanche.
7h41: Je suis à bout.
7h42: Mon passeport. Merde, mon passeport.
7h43: "Passengers for Paris-Orly, please, passengers for Paris-Orly"
7h45: La signorita n'en a rien à foutre de ma carte bleue. Ni de ma carte vitale. Encore moins de mon pass navigo.
7h46: LE VOILA !!! J'en pleurerais. Le bâtard était dans la poche intérieure de mon sac. Comme si c'était le moment de se planquer hein. "Objets inanimés avez vous une âme", se demandait l'autre illuminé, ben te casses pas, j'ai la réponse.
7h49: Tout va bien. Si ce n'est cette histoire de ligne blanche mais je SAIS que ça n'a aucun sens. Je le SAIS, le docteur me l'a dit, tout ça c'est mon esprit qui me joue des tours, c'est le syndrome de l'empêchement, qu'il a dit. Mais sinon, franchement, je suis fière de moi. Mon coeur bat normalement, je n'ai pas de suées ni de pensées obsédantes - mon pass... ta gueule - tout ça alors qu'on décolle dans moins d'un quart d'heure.
7h50: Je crois que c'est ce qu'on appelle avoir grandi.
7h51: Ou vieilli. Mais dans le bon sens du terme.
7h52: Pas sûre qu'il y ait un bon sens du terme pour le mot vieillir, cela dit.
7h53: N'empêche que si j'étais celle d'avant, celle qui faisait l'oeuf comme une possédée dès l'entrée dans l'avion ou qui étudiait le langage corporel des hotesses à la loupe, je cèderais à cette petite voix perverse qui me murmure à l'intérieur de ma tête que je ne suis plus tout à fait sûre d'avoir remis mon ordinateur dans ma valise après le passage au point de sécurité.
7h54: Alors qu'il faudrait être complètement demeurée pour faire un truc pareil. Perdre son passeport, passe encore, mais là, hein, y'aurait moyen d'aller "voir quelqu'un" pour les dix années à venir.
7h55: En même temps, je SAIS que c'est encore une manifestation de mon inconscient qui veut m'empêcher de prendre cet avion, mais ça ne coûte rien de vérifier si tout est en ordre dans ma valise que je viens de mettre dans le coffre à bagages. J'ai à peine cherché mon passeport depuis ce matin, une performance, on ne va pas mégoter pour si peu, surtout si c'est la clé de la tranquillité.
7h56: Sorry miss, can I just check my bag, just two seconds, thank's. Voilààààà, j'ouvre le zip de la valise, je passe ma main à l'intérieur et je constate que...
7h57: que je veux ma maman.
7h58: Et aussi mon papa.
7h59: Et surtout je veux mon ordinateur. Qui est certainement quelque part mais pas dans ma valise. Ni dans ma poche. Ni dans celle de mon sac à main. Ni dans mon soutien gorge. Et l'avion part dans 3 minutes.
A suivre...