Anne Mourat est ma cousine. Enfin, une cousine à la mode de Bretagne, voire du Cotentin puisque très précisémment c'est la fille du cousin germain de ma maman. Une cousine, donc, au 34e degré, que je n'ai... jamais rencontrée.
Mais qui me lit, depuis que ma mère lui a parlé de moi. Et dont je suis les pérégrinations, depuis que ma mère m'a parlé d'elle. Pourquoi cet intérêt mutuel ? Parce que sans s'être jamais vues, on a, et vous avez du vous en rendre compte dès l'apparition de la photo ci-dessus, quelques préoccupations communes. Au hasard ? L'image de soi, le corps, la féminité et la façon dont celle-ci se manifeste, l'esthétique, le poids, la force des femmes, leur beauté. Seule la façon dont cette réflexion se matérialise diffère. J'écris, elle façonne, dessine, sculpte.
Je suis tombée en amour de ses femmes si amples, de ses couples enlacés dansant le tango. Je suis en totale admiration, aussi, devant ce choix si osé de se consacrer à sa passion, avec toutes les embuches que cela implique. Comme Solange, Anne se voue à son art, parce que tout simplement, c'est une nécessité.
J'avais donc envie de vous la présenter, de la laisser aussi expliquer sa démarche, bien mieux que je ne saurais le faire. J'en profite pour vous dire que c'est le genre de chose que j'ai envie de vous proposer cette année, vous donner la parole, mettre sur le devant de la scène des parcours atypiques, des initiatives particulières. C'est que parfois, j'en ai assez de parler de ma pomme, quoi. N'hésitez donc pas à venir vers moi si vous pensez entrer dans ce cadre. Je ne dirai pas systématiquement oui, mais ça vaut le coup d'essayer, non ?
Anne a par ailleurs dans l'idée de mettre en jeu un dessin, dans le cadre d'un concours comme il y en a eu récemment sur ce blog. Dès la semaine prochaine, j'organise ça...
Allez, trève de discours, voici quelques questions que j'ai posées à Anne et ses réponses éclairées, en direct de Dakar, parce que oui, Anne, très inspirées par les femmes africaines, n'a pas à aller très loin pour rencontrer ses modèles, puisqu'elle vit au Sénégal.
Pdr: Quand as-tu commencé à sculpter ?
Anne Mourat: J'ai pris des cours de modelage pendant mes études d'art, au début des années 80 (au Paléolithique, donc) ; j'avais bien accroché, mais à l'époque j'étais attirée par d'autres modes d'expression.
Plus tard, au Burkina Faso où j'ai vécu 6 ans, j'ai refait du modelage chez les fondeurs traditionnels qui sculptaient leurs œuvres dans la cire d'abeille. Mais j'ai vraiment décidé de me consacrer à la sculpture il y a 10 ans, à Dakar. C'est là que s'est enfin imposé à moi l'évidence : "je suis sculptrice"... A plus de 40 ans, un peu lente, hein, la nana. Par contre, j'ai eu la chance de pouvoir exposer rapidement mon travail dans des galeries à Dakar. En 2005, j'ai été lauréate, avec ma sculpture «La Secrète», de la Bourse des Jeunes Sculpteurs de la Fonderie d'Art Barthélémy. Ca m'a donné confiance pour continuer...
Pdr: Comment travailles-tu, avec quels matériaux, dans quel lieu, etc ?
Anne Mourat: Je modèle l'argile ; pour l'instant, je ne cuis pas mes terres (même si j'ai l'intention de m'y mettre à Dakar dans les mois qui viennent). Je fabrique ou fais fabriquer des moules, pour réaliser ensuite des tirages, en bronze ou en résine.
Je m'inspire toujours de modèles vivants. Je prends de nombreuses photos numériques durant une ou deux séances de pause, ensuite je travaille seule avec les images sur mon ordi. Je dessine des croquis rapides, puis réalise une petite maquette en terre pour me guider dans la construction de la pièce en plus grand.
Le lieu : un atelier bien à moi, mon cocon, pour de longues heures de solitude heureuse...
Pdr: As-tu toujours sculpté des femmes rondes ?
Anne Mourat: J'ai toujours fait des personnages FORTS. Quand j'ai commencé à travailler la terre, si j'ai sculpté des femmes rondes, c'est parce que je rencontrais, en Afrique, surtout au Burkina, des femmes qui, à la fois musclées et grasses, dégageaient une incroyable impression de puissance et de grâce. Des femmes qui s'acceptaient et s'assumaient avec leurs rondeurs, qui se vivaient séduisantes et séductrices grâce à elles.
Ce qui m'intéresse de montrer, dans l'être humain, c'est sa puissance de vie et "la conjugaison subtile de sa spiritualité et de son animalité" (désolée, je ne sais pas comment te le dire plus simplement...). Et les femmes africaines rondes en dégagent, de la puissance de vie !
Depuis quelques temps, je suis davantage tournée vers les portraits, traités à ma façon : personnages représentés jusqu'aux hanches (l'équivalent du "plan américain" au cinéma) ce qui me permet de jouer sur les disproportions entre tête, corps et mains. Mes danseurs de tango ont été réalisés dans cet esprit. J'ai plusieurs projets, dont un autour du thème du couple ; hommes et femmes seront puissants et massifs, je n'imagine pas les faire minces...
Pdr: Pour toi la beauté passe par la rondeur ?
Anne Mourat: Bon, soyons honnête... Dans la vie quotidienne, non, pas forcément ! La preuve, je fais comme toi, je lutte depuis toujours contre mes kgs pour me sentir séduisante ! Je suis dans les mêmes contradictions, peut-être, que toi... Nous "militons", chacune à notre façon, pour l'acceptation des corps non conformes à la norme en vigueur dans notre culture, alors que par ailleurs nous passons beaucoup d'énergie à l'atteindre, cette norme... Va comprendre...
Une fois de plus, ce n'est pas forcément la rondeur, qui m'intéresse, mais la puissance de vie.
Pdr: Qui achète tes sculptures ? As-tu l'impression que les femmes les préfèrent aux hommes ?
Anne Mourat: Pour l'instant, mes rondes ont plutôt été achetées par des hommes.
En fait, j'ai l'impression que les femmes sont un peu dans les mêmes contradictions que celles dont je parlais pour nous, plus haut : séduites par cette représentation sympathique et positive de la rondeur, elles ne passent pas forcément à l'acte d'acheter ; un peu comme si elles n'osaient pas s'affirmer dans leur goût par une telle acquisition. Enfin bon, c'est une interprétation de ma part et je me plante peut-être complètement !
Non, je crois que mes rondes plaisent davantage aux hommes.... Un Monsieur m'a laissé ce commentaire dans le livre d'or d'une de mes expos : "Les femmes d'"envergures" ne vous remercieront jamais assez. Vous avez changé le regard sexuel que j'avais des dames rondes et je vous en serai toujours reconnaissant". Je l'aime trooop cette phrase-là !
Pdr: Quels sont les retours que tu as des gens qui viennent voir tes oeuvres ?
Anne Mourat: Les réactions les plus négatives que j'ai reçues ont été pendant le seul Salon d'Art auquel j'ai participé à Paris. C'était curieux : je me suis demandée si la normalisation du standard féminin maigre, lisse et quasi asexué y était tellement forte que les gens (hommes comme femmes) ne supportaient pas de voir des femmes si épanouies... J'ai entendu également des réactions de rejet de la part de personnes qui exprimaient un malaise face à l'animalité trop présente de ces corps.
Mais, quand même, j'ai la chance d'avoir plus de retours positifs que le contraire... Les gens me disent être touchés par l'émotion et la force qui se dégagent de mes sculptures. La rondeur de mes modèles surprend, amuse quelquefois et finalement séduit pour certainement les mêmes raisons que ton blog séduit (entre autres pour ton blog...) : un regard décomplexé, déculpabilisé et non victimisé du sur-poids... Bon, attends, j'essaie de trouver des adjectifs plus positifs : un regard confiant, joyeux, optimiste, coquin sur ce qui sont la réalité et le quotidien de bon nombre de femmes !
Pdr: Où peut-on les admirer ?
Anne Mourat: Elles sont exposées en permanence dans une galerie, "Les Ateliers d'Artistes", à Lourmarin dans le Luberon (Vaucluse). Sinon, je suis à la recherche d'autres lieux d'expositions, provisoires ou permanentes, qu'on se le dise !
Dernière remarque pour conclure : je tiens au terme de "sculptrice", même si je trouve ce mot finalement pas très élégant. Tant pis, en féministe intégriste, je tiens à utiliser le terme féminin puisqu'il existe, même si le correcteur orthographique le goret (masculin de la truie, donc) de mon ordinateur s'entête à le souligner, comme s'il n'existait pas...
A Mulher Do Meio (La Femme du Milieu) : portrait de la peintre cap-verdienne Misa, tirage en ciment et pouzzolane, Sculpture réalisée dans le cadre de la Première Rencontre Multi- culturelle de Porto Madeira, île de Santiago, Cap Vert, Août 2008
"Can't Be Nice All The Time" *: bronze, 40 cm x 23 cm x 24 cm
* slogan féministe des années 1970 aux États Unis ; "on peut pas être mignonne tout le temps"...
Détail de la sculpture en ouverture du billet: "Comos dos extranos"
Pour en savoir plus et admirer d'autres oeuvres: http://www.anne-mourat.com/