C'est imperceptible. Des soupirs en guise de réponse à certaines de mes réflexions. Des portes qui claquent. La salle de bain occupée plus longtemps. Des mimiques devant le miroir. Des t-shirts de moins en moins souvent roses. Des mails envoyés en douce avec des noms de garçon dedans, j'en suis sûre.
Et voilà comment, samedi, j'ai acheté un gel moussant pour le visage spécial peaux jeunes.
Si seulement ça pouvait effacer TOUS les points noirs de ces années à venir...
Non parce que je sens que les comédons, ça n'est que la partie emmergée de l'iceberg à emmerdes qu'on s'apprête à percuter à grande vitesse. Qui dit adolescence dit en effet aussi passage en 6ème. Et qui dit passage en 6ème dit... choix du collège.
Enfin, non, pas choix du collège, puisqu'en l'occurence, la carte scolaire existe toujours, au cas où certains en douteraient. Seuls les motifs de dérogation ont été un peu modifiés mais je ne souhaite à personne de rentrer dans les cases, du genre "le thérapeute de mon enfant est situé à proximité d'un autre établissement". Changer d'affectation reste donc extrèmement difficile. Bien sûr, ça va de soi, en bonne gauchiste bobo parisienne, je suis à fond pour la carte scolaire. Attends, excusez-moi mais la mixité sociale, c'est mon cheval de bataille. Alors tout ce qui peut garantir cet équilibre, je cautionne sans états d'âme.
Sur le papier.
Comme 99% de mes congénères. Il suffit d'assister à la réunion "spéciale entrée en 6è" pour constater en effet que les plus actifs des parents délégués et consort sont aussi les plus prompts... à gruger le système. Avec, systématiquement, cette phrase sésame qui t'absoud de toutes tes petites compromissons : "Mes enfants n'ont pas à souffrir de mes principes". (à prononcer avec l'air contrit du parent qui souffre de cette entorse à ses règles fondamentales de vie mais qui est prêt à se sacrifier sur l'autel de la réussite de sa progéniture)
Honnêtement, la plupart du temps, on se demande un tout petit peu de quelle souffrance on parle. Celle d'être séparé du meilleur copain ? Celle d'être dans un collège qui ne fait "que" 80% au BEPC alors que celui d'à côté est à 87% ? Celle de ne pas avoir la possibilité d'apprendre le chinois dès la 6e avec option grec ancien ? Je ne sais pas, mais à en juger la façon dont certains se démènent pour changer d'affectation, c'est du lourd.
Stupéfiant, le nombre de "déménagements" effectués ces derniers jours chez cousins, soeurs ou même sombres inconnus soudoyés, habitant à proximité des meilleurs établissements du quartier.
Attention, je critique, je critique, mais je ne vais pas vous cacher que moi même, je m'interroge.
Impossible de ne pas se faire des noeuds au cerveau, sous peine d'ailleurs d'être regardée de travers par les vrais bons parents, ceux qui se soucient vraiment de l'avenir de leurs enfants. Sachant que la côte d'un établissement est aussi instable que celle du CAC40. Un jour c'est l'antichambre de pôle emploi (dans le meilleur des cas), le lendemain, finalement, le principal a changé et du coup, grâce à une équipe pédagogique hyper soudée, c'est l'assurance d'accéder dans dix ans à la meilleure des prépas. Enfin, ça c'est si tu as confiance dans la personne qui te confie généreusement cette info. Pour apprendre la semaine suivante qu'elle vient en réalité d'acheter une chambre de bonne à deux rues d'ici dans laquelle sera domicilié son aîné (de onze ans, donc) pour éviter à tout prix le collège en question (gaffe donc à l'intox pratiquée par les plus malins, probablement pour se réserver LA place dans l'école que tout le monde convoite).
J'ai l'air de bien prendre tout ça mais je ne vous dis pas l'état dans lequel je suis. A côté, le choix du duvet pour la colo, c'est plus zen qu'un séjour dans un ashram tibétain.
Je m'interroge, donc (= je mange dérogation, je dors dérogation, je baise, même dérogation).
Pour la simple et bonne raison que dans le collège où sont sectorisés mes enfants, il n'y a qu'une classe "bi-langue" (= "classe d'élite" en langage codé de l'éducation nationale, permettant aux meilleurs éléments d'apprendre l'anglais ET l'allemand, repoussoir à cancres, dès la 6e) (mais attention, il n'y a pas de classes de niveau dans l'enseignement public, ouh, tout doux bijou, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, surtout pas, vous voulez me griller ou quoi ?) et que par conséquent, je suis confrontée à un vrai dilemme: les mettre dans la même classe et vivre un enfer durant les quatre années à venir (ils se battent pour raconter en premier le menu de la cantine, je vous laisse imaginer les repas du soir s'ils partagent les mêmes profs) ou choisir qui de ma fille ou de mon fils aura accès à la classe des winneurs. Call me Meryl Streep.
Donc j'envisage de demander une dérogation pour le collège d'à côté, qui compte, lui, deux classes bilangues. Et en même temps, outre le fait que 1) ça ne correspond pas à mes idées (mais, mes enfants n'ont pas à souffrir, bla bla bla) (carte magique, je rappelle) et que 2) je suis nulle en dérogations/lettres officielles/démarches administratives, j'ai super peur de faire une grave erreur.
Parce qu'une maman bien intentionnée m'a prévenue: "fais super gaffe. Ta demande peut être refusée. C'est même probable. Etant donné que la raison que tu vas invoquer n'entre pas dans les cases de l'administration. Et là ma vieille, c'est double peine. Non seulement tu n'as pas le bon collège, mais en plus, et c'est arrivé à la mère du neveu de ma voisine, tu te fais SAQUER par le principal de l'établissement que tu as tenté de fuir. Et là tu peux te brosser pour la classe bilangue. Tes gosses, il vont se retrouver, au mieux, en 6è "basket"." A la mine qu'elle faisait, la 6è basket, c'est moche. Très moche.
Alors que faire, bordel de merde ? Tenter le coup de la dérogation atypique et condamner mes gosses à jouer au ballon pendant que les autres, ceux qui n'auront pas été pris la main dans le sac du détournement de carte scolaire, partiront en classe verte en Bavière ? Me soumettre à ma sectorisation et passer les quatre prochaines années à faire la police à table dès que l'un aura balancé la connerie qu'a fait l'autre en cours de maths ? Décrocher le sésame du collège à deux classes bi-langues mais qui pendant l'été aura vu sa réputation s'effondrer comme l'indice Nikkei ?
Ce qui, cela dit, sera peut-être finalement un moindre mal. Si si. C'est une autre mère bien renseignée et sûrement très bien intentionnée elle aussi qui me l'a confié sous le sceau du secret.
"Attends, être dans un collège de merde, ça peut se révéler un pari sacrément gagnant. Réfléchis: si ton gamin est dans un établissement pourri et qu'il est plutôt bon. Il a toutes les chances, en fin de 3e, de finir premier de sa classe avec une moyenne qui déchire. Et là, c'est le passeport pour Henri IV. Parce que figure-toi que le lycée, c'est sectorisé mais pas que. Et que le premier critère, ce sont les notes. Or ici, dans le 13e, on est sur le secteur d'Henri IV et de Louis Legrand. La crème des lycées parisiens. Donc ton gosse, il peut passer devant un autre bien meilleur mais qui, parce qu'il est d'un collège plus côté, a une moins bonne moyenne. Et là, c'est qui qui est baisé ? Celui qui a fait des pieds et des mains cinq ans auparavant pour entrer dans la fabrique à génies".
"Ah ouais quand même", j'ai dit.
Après, une fois la crise d'angoisse jugulée, je me suis demandé si je n'allais pas demander à ce qu'on me mette sous tutelle. Non parce que moi, là, j'en suis tout juste à réaliser que mes enfants l'année prochaine auront plusieurs enseignants et gavé de boutons sur le front. Et je sens que je ne suis absolument pas au niveau pour tout ce qui est de leur orientation.
Bref, je vous souhaite bien du courage, vous les heureuses mères d'enfants encore en âge de faire pipi dans leur culotte. Parce que ça se confirme que ça se complique, après. Je vous laisse, je vais consulter les taux de réussite à l'ENA des gamins du 13e arrondissement.
Edit: La prochaine fois je vous parlerai de l'autre option. Le privé. Je sais, c'est contre mes principes. Mais rappelez-vous, j'ai ma carte magique. "Mes enfants ne sont pas là pour essuyer les platres de mes convictions". C'est cool quand même, ce joker qui te permet de faire tout ce que tu avais juré que tu ne ferais jamais, non ? Là je vous laisse, j'ai un double appel, et je ne voudrais pas le louper, j'attends un coup de fil de l'Ecole alsacienne. Le must, parait.