J'ai un passé de joueuse de cartes. Plus précisément de coincheuse.
Jamais pu m'intéresser à un quelconque autre jeu, nulle au tarot, inapte au bridge, catastrophique au poker.
C'est à peine si je maitrise le Uno.
Mais la coinche, j'ai des kilomètres au compteur, jonchés de mégots et de bouteilles vides.
Ce week-end, ce passé enfoui a ressurgi à la faveur d'un lendemain de cuite. "Un coinche, ça vous dit ?" a lancé Fanny, avec laquelle je n'avais jamais joué, connue trop tard pour les cafèts de la fac.
Et voilà que dix ou quinze ans après ma dernière partie disputée, je retrouvais tous mes anciens réflexes: l'arrogance, la mauvaise foi, le rire gras quand un pli pas prévu tombe entre les mains de mon équipe (la coinche se joue à quatre, deux contre deux), les gaffes, aussi, la stratégie étant moins mon fort que la parlotte.
C'était comme prendre la route dans l'autre sens. En chemin, j'ai croisé E., compagnon belotté de la première heure. Notre duo pouvait rendre fous tous les autres, tant nous passions la partie à glousser de nos mimiques respectives. Je peux encore le voir comme si c'était hier poser une carte maitresse sur la table. Il se tortillait alors sur son siège et simulait une douleur atroce, preuve qu'en face cette fois-ci ils allaient agoniser. Pour prendre immédiatement un air faussement contrit et désolé.
La blague était éculée, cent fois répétée mais pas une seule fois je n'ai pas pouffé, consciente d'être aussi irritante que le citron sur une plaie.
Hier, en tapant le carton, en m'insurgeant contre l'intransigeance feinte de Fanny ou les coups d'oeil suspects de Frédé, je pensais à E.
Comment expliquer que sa grâce et son humour aient été submergés, un jour, par tant de mélancolie qu'il ne puisse faire autrement que d'en finir ?
Y'avait-il quelque chose que nous aurions pu faire, des mots que nous aurions pu trouver ? Les signes avant-coureurs étaient-ils sous nos yeux, évidents et énormes ?
Cinq ans après, pas plus de réponses mais autant de tristesse. Pas un jour ou presque sans que les notes aigues de son rire ne résonnent dans ma tête. Pas un jour ou presque sans que je ne pense à elle, à son petit de lui ou à ses frères qui étaient comme les miens. Mais hier, le temps d'une partie et grace à Fanny. ce n'était que du meilleur que je me rappelais.
Belote et rebelote.
Edit: la photo ? Rien à voir, si ce n'est qu'elle a été prise ce week-end devant ma roulotte. D'autres suivront, il faut juste que je m'assure d'avoir l'autorisation et la bénédiction de mes compagnons gipsys avant de les punaiser sur l'internet mondial.