On dit souvent que lorsqu'on perd du poids, on met du temps à se réapproprier son image, à se voir telle qu'on est devenue. Ce n'est pas faux, j'ai mis plus d'un an à essayer en premier des pantalons en taille 40. Et six mois de plus pour ne pas embarquer dans la cabine du 42 et du 44, "au cas où".
Mais ce qu'on dit moins, c'est que ce regard qu'on porte sur nous même, les autres l'ont également. On ne change pas facilement dans la tête des gens.
Hier soir, j'étais invitée à un raout par mon ancien boss. L'occasion de recroiser quelques collègues de mon ancienne vie. Pas si ancienne que cela, je ne suis finalement partie que depuis six mois.
Six mois pendant lesquels je n'ai pas perdu un gramme, je crois que je me suis stabilisée, oscillant à plus ou moins deux kilos de mon poids de forme.
Mais là n'est pas la question.
J'ai donc revu des collègues et ils ont été nombreux - je veux dire par là que ce n'était pas une remarque isolée - à s'exclamer que j'avais fondu. Voire que j'étais vraiment très épanouie - il en est même un qui pourtant ne m'a jamais dit un mot gentil en cinq années sous sa responsabilité - qui a prononcé le mot "resplendissante".
Je ne vais pas mentir, c'était très agréable, les compliments il faut toujours les prendre sans mégoter.
Mais je me suis tout de même interrogée.
Comment se fait-il qu'ils aient eu cette réaction, alors que cette "ligne" là, je l'avais bien avant de partir ? Et cette robe que je portais, mon increvable portefeuille noire de chez Monop, cuvée 2006 environ, ils avaient dû la voir sur moi des dizaines de fois. Je n'étais pas plus maquillée qu'un autre jour, pas plus apprêtée, et je me trainais une migraine épouvantable, de celles qui rétrécissent mes yeux et me donnent un teint gris.
Je veux dire, je n'étais pas spécialement vilaine, mais ni plus ni moins la même qu'il y a six mois. Bien sûr, on pourra m'objecter que cette nouvelle vie me réussit, que la sérénité à l'intérieur de soi se voit à l'extérieur. Mais bien que sûre désormais d'avoir fait le bon choix - ou en tous cas un choix qu'il faut assumer - je suis tout sauf sereine, en proie à des questionnements et des doutes quotidiens. C'est ma nature et je crains qu'il faille me la trainer jusqu'à la tombe.
Bref, j'aimerais être l'héroine de eat, pray, love, mais qu'on me laisse ma cartouche de cigarettes, mes bêtabloquants et mes prises de tête.
Tout ça pour dire que je pense que la seule raison de leur "surprise" réside dans le fait qu'ils ne m'avaient pas vue pendant un long moment. Et que par conséquent, ils s'étaient débarrassés de leur persistance rétinienne (trois jours que je veux placer cette expression, je trouve que ça fait très sérieux) qui les faisait me voir comme j'étais "avant". Peut-être aussi que tout simplement, ils ne me regardaient pas avant, je faisais partie des murs, le boulot ce n'est pas un catwalk non plus, hein.
Toujours est-il que je pense que ça explique aussi pourquoi soi même on ne parvient pas à poser un regard différent sur un corps qui peut avoir changé. On se voit tout de même beaucoup par le prisme de ce que nous renvoie l'autre.
J'ajouterai que si ces compliments m'ont touchée, ils m'ont aussi un peu interpellée. Le lien entre mon amaigrissement et ma supposée "plénitude spirituelle" était visiblement évident. Le "tu as maigri", je l'entendais comme un "tu es heureuse, ça se voit ".
Je crois que j'ai plus que jamais compris ce que voulait me dire le docteur Zermati, quand il parlait des dangers de la survalorisation de la perte de poids. C'est une sacrée pression, je crois, cette association du bien être et d'un corps svelte. Si j'étais arrivée hier, souriante et pomponnée, mais lestée d'une dizaine de kilos, mes anciens collègues en auraient ils déduit que j'avais fait une énorme erreur et que j'étais une looseuse ? Si je venais à regrossir, devrais-je supporter, en plus des désagréments liés à la reprise de poids - ne serait-ce que le renouvellement de ma garde robe - les regards désolés des proches et moins proches, qui en déduiraient que je vais mal, voire que je suis tricarde ?
Je n'invente pas le fil à couper la margarine en écrivant ces mots. Mais l'obésité est de plus en plus et irrémédiablement assimilée à tout un tas de traits de caractère négatifs: le laisser aller, la paresse, la déprime, etc. Et c'est d'autant plus injuste que je ne connais pas plus volontaire qu'une personne au régime.
Je suis partie un peu dans tous les sens, ce billet a été écrit un peu tard. Qu'on ne se méprenne pas, je n'étais évidemment pas fâchée contre ces personnes qui n'étaient que pleines de bonnes intentions. Je confesse même avoir joui de cet instant, qui ne rêve pas de faire un tabac en revenant sur les lieux du crime ? Mais au final, ce que j'en retiens, c'est que je vaux - et ce "je" est à prendre comme un "nous" - plus que quelques kilos en moins. Et que ce qui m'a le plus touchée, c'est A., avec laquelle je n'ai pas si souvent parlé durant ces années à la cotoyer et qui m'a confié me lire et rire, souvent.
Bonne journée...
La photo ? non, rien à voir, c'est juste "notre" petit resto de Corse auquel on se rend systématiquement le premier soir des vacances. Et j'avoue que j'en ai une énorme envie...