C'est un billet difficile à écrire parce qu'il est un peu comme une énorme boule de pâte à pain, qui s'étirerait dès qu'on la prendrait d'un côté. C'est un billet qu'il me semble avoir déjà rédigé plusieurs fois mais qui ne sera pas forcément identique aux précédents parce qu'au fil des mois la situation évolue et les propos avec.
C'est un billet suscité par certains commentaires ces derniers jours, par des discussions avec des copines blogueuses, par des conversations entre amis, par une réflexion quasi-quotidienne aussi, tout simplement, sur le pourquoi du comment on devient cet être hybride, étrange et souvent agaçant: une blogueuse.
(attention, billet le plus long de l'histoire de la blogo et potentiellement un peu chiant, aucune obligation de cliquer sur "lire la suite")
Comme je ne sais donc pas exactement comment m'y prendre pour rédiger ces quelques lignes, je crois que je vais fonctionner par un jeu de questions réponses qui devrait m'aider à structurer un peu mes propos. Mais avant, je tiens à le préciser, il n'y a nulle envie de justification dans ce post et ce dernier n'a pas pour objet de récolter une moisson de commentaires complaisants. J'ai simplement envie d'essayer d'y voir plus clair et de vous permettre à vous aussi de comprendre certaines ambiguïtés et complexités de cet exercice qui consiste à écrire quotidiennement sans que quiconque ne m'y oblige. Ces propos, par ailleurs, comme on le dit sur Twitter, n'engagent que moi et si certain(e)s blogueurs(euses) s'y reconnaissent, tant mieux, mais je n'ai pas la science infuse et ne parle finalement que de ce que je connais le mieux: moi.
Bref, nous y voilà.
- Tu dis que tu blogues pour le plaisir et bénévolement, mais c'est complètement faux, c'est devenu un métier et d'ailleurs ça te rapporte de l'argent, ce qui donc autorise tes lecteurs à te critiquer, non ? Alors pourquoi la critique justement est-elle si difficile à accepter ?
Le blog est-il un métier ou un loisir, en somme. C'est LA grande question. A laquelle il est bien difficile de répondre. Pour ce faire, il faut peut-être remonter aux origines de la blogo, autant dire au moyen-âge à l'échelle de l'internet. Comme je l'écrivais hier dans les commentaires, pour les pionniers de la blogo dont je fais partie, le blog fut à l'origine un amusement, une tentative d'exister sur la toile, de "publier" des écrits autrement que dans un livre ou un journal. Pour certaines, ce moyen d'expression s'est très vite mué en support de photos de mode, pour d'autres en une occasion de montrer leurs dessins, d'autres encore en recueil de chroniques. A ce moment là, l'idée même de gagner de l'argent était incongrue. Je ne pensais même pas alors être lue par d'autres personnes que celles auxquelles j'avais donné l'adresse (mon mec et deux copines). De là à dire qu'il n'y avait pas la moindre ambition de "réussite", c'est faux. Pour avoir l'idée de lancer des mots à la mer comme cela, il faut avoir l'envie d'être lue. Et donc si ce n'est d'être connue, au moins reconnue. J'avais depuis toujours ce désir d'écrire, tout en étant 1) velléitaire 2) pas très sûre d'un quelconque talent en la matière. Alors ce blog, c'était une façon de me botter les fesses et de tester. Et puis, par un concours de circonstances, pour moi comme pour d'autres, et peut-être parce que nous n'écrivions pas que des conneries ou alors qu'on ne le faisait pas si mal, les lecteurs sont arrivés. Un peu, puis pas mal, puis beaucoup. Avec eux, sont également venues les propositions de pub, les offres de partenariat, les tentations de cadeaux. LE MAL. L'Argent. Certaines blogueuses, je pense à Simone de Bougeoir, ne sont jamais tombées dans ce panneau. D'autres ont foncé tête baissée. D'autres encore, moi en l’occurrence mais finalement la plupart je crois, ont opté pour un entre-deux, essayant de rester honnête tout en ne s'interdisant pas de mettre du beurre dans les épinards.
Et puis le blog a ouvert des portes. Et puis le blog est devenu aussi une vitrine. Et puis un argument de "vente" auprès d'éventuels employeurs. Une identité, presque. Un... métier. Ou quelque chose s'en approchant. Et forcément, l'enjeu d'un billet a changé.
Parce qu'écrire pour trois lecteurs n'a pas la même implication que de savoir que des milliers de gens vont pouvoir lire les informations hyper intimes qu'on n'hésitait pas à balancer hier encore avec une certaine candeur. A savoir aussi qu'à force de s'exposer, on finit par faire croire aux gens qu'on est devenu leur amie ou tout au moins une de leurs proches. Alors qu'en réalité, pas vraiment. D'où le malentendu souvent et ce genre de remarques lues sur des forums ou dans des commentaires à propos d'une telle ou d'une autre: "en vrai elle n'est pas du tout sympa alors que sur son blog elle se la joue girl next door". En l’occurrence, en "vrai", la blogueuse est souvent comme tout un chacun. Humaine donc imparfaite. Et forcément éloignée de l'image que les lecteurs projettent sur elle ou de celle qu'elle donne en omettant volontairement de mettre en avant ses pires défauts (la blogueuse est parfois une dinde mais rarement maso).
Bien sûr, c'est très délicat cette histoire de proximité. Parce que c'est ce qui explique en premier à mon sens l'engouement pour les blogs. Le fait de pouvoir dialoguer avec l'auteur, de se reconnaitre en elle. Alors forcément, quand elle devient une "people" comme, au hasard, Garance Doré, ce mécanisme d'identification ne fonctionne plus. Et ça, la blogueuse en est consciente. D'où les billets chez certaines dans lesquelles elles persistent à se présenter comme des Candides au milieu des requins, comme des Bridgets dans un cercle qu'elles fréquentent mais dont elles ne font pas vraiment partie. J'ai recours aussi à ce procédé dans mes billets. Et je ne crois pas être malhonnête quand je le fais parce que si je ne suis plus complètement outsider dans les (rares) événement où l'on m'invite, je suis encore très souvent frappée du syndrome de l'imposteur et pas du tout "intégrée" par les cadors de la mode, beauté etc. Mais peut-être que même si je l'étais vraiment, je continuerais à raconter les choses de cette façon là, parce que sinon ça n'est pas très drôle. Surtout, sinon, ça ressemble à ce que n'importe quelle journaliste de magazine féminin peut écrire.
Avec cette extension du lectorat et la dépendance de l'auteur vis à vis de son blog (qu'il ne peut plus forcément arrêter du jour au lendemain étant donné qu'il est devenu son meilleur CV), le ressenti des lecteurs évolue. Ces derniers se sentent - à raison - partie prenante du succès du blog. Ils ont l'impression d'avoir leur mot à dire sur le contenu, puisque sans eux, tout ceci n'existerait pas. Ils voudraient, pour certains, que ce soit plus comme ci, moins comme ça. Ils détestent la pub, ils adorent telle rubrique, ils trouvent que cette photo est affreuse, que ce billet est abject. Et ils le disent.
Et la blogueuse, elle, ne comprend pas. Après tout, premier argument imparable de tout blogueur attaqué, "c'est gratos et personne ne t'a demandé de venir". Ce qui est totalement vrai. Mais aussi probablement un raisonnement à court terme. Puisque la pub ne rapporte que si les clics se multiplient. Et que si plus personne ne vient, le blog redevient un petit journal intime confidentiel. Ce qu'aucune blogueuse ayant un peu "percé" ne souhaite. Ceci étant dit, si les lecteurs ont donc une certaine légitimité à manifester leur mécontentement, le faire derrière un pseudo bien tranquille chez soi en écrivant des horreurs ou quelques perfidies bien tournées n'est pas la meilleure façon de s'attirer les faveurs de la tenancière. Et n'est pas forcément acceptable non plus. Impossible quadrature du cercle, donc, entre la blogueuse qui se sent attaquée à la moindre critique (parce que même après toutes ces années, même en s'étant professionnalisée, elle continue de livrer finalement beaucoup sur ces pages et qu'attaquer son blog, c'est l'attaquer elle) et le lecteur qui s'estime en droit d'exiger certaines choses puisqu'il est à l'origine de tout. Poule et oeuf, oeuf et poule.
On pourrait décréter que la solution, c'est que le blog ne devienne pas un métier justement. Mais c'est une bonne solution pour les lecteurs, pas pour les blogueurs. Et même, finalement, pour les lecteurs non plus. Ce qui fait le succès d'un blog, c'est le fait qu'il soit alimenté régulièrement, que les photos y soient belles, les textes chiadés, les anecdotes racontées, croustillantes. Et pour cela, il faut du temps. Et pour y consacrer du temps, il faut d'une certaine manière que cela rapporte un peu. A moins d'être la petite fille cachée de Liliane Bettencourt (et encore, à priori ça ne garantit pas la tranquillité d'esprit) et de pouvoir vivre d'amour et d'eau fraiche. Honnêtement, si "Pensées de ronde" n'avait pas évolué depuis bientôt 6 ans qu'il existe, je ne suis pas certaine que vous viendriez encore m'y lire. Et je consacre bien sûr aujourd'hui beaucoup plus de temps dessus qu'à l'origine.
Surtout, pourquoi bloguer ne deviendrait-il pas un métier ? Au nom de quoi il serait interdit ou amoral de créer une nouvelle profession, avec de nouveaux codes, un profil de poste inédit ? On lit souvent sur certains blogs que les Français ont du mal dès qu'il s'agit du fric, qu'aux Etats-Unis les blogueurs n'ont aucun scrupules à afficher leurs cadeaux. Je crois que c'est un peu plus compliqué que ça. En France, on a du mal avec l'idée qu'un travail puisse être à l'origine une activité plaisante. Labeur et souffrance doivent être liés. Ok pour gagner de l'argent, mais seulement si c'est au prix d'un effort qui coûte. Or là, on a vu apparaitre sur la blogosphère, des gens qui tout en s'éclatant, finissaient par se fabriquer leur job, celui de leurs rêves. Un concept complètement étranger à l'idéologie judéo-chrétienne dominante. Et donc ulcérant. Pourtant, ceux qui s'indignent de la belle vie de ces nouveaux chercheurs d'or devraient tout de même garder à l'esprit que les blogueurs, ces mercenaires, vivent dans ces cas là sans filet. Pas de contrats, pas de chômage, pas de cotisations ou presque et la peur toujours présente que "ça" s'arrête. Enviables, peut-être, mais couillus, malgré tout, de s'infliger cette précarité angoissante.
- Oui, mais la pub, toussa toussa, c'est quand même de la corruption, non ? On prend les gens pour des jambons, on utilise son influence pour les sucer jusqu'au trognon !
Là aussi, difficile de répondre de manière tranchée. Oui on prend les gens pour des cons quand on vante une palette de maquillage avec lien affilié à la clé (= le blogueur touche une com sur les ventes générées par le lien), alors même que la palette en question on la trouve nulle à chier. Après, du moment que les choses sont claires, que l'affiliation n'est pas un tabou et que le produit vanté l'est sincèrement, après tout où est le problème ? Aucun blogueur ne met un flingue sur la tempe d'un lecteur pour qu'il achète quoi que ce soit. Idem pour les billets sponsorisés, les pubs et cie. S'il y a transparence, aucune raison de crier à l'arnaque. Personnellement, je préfèrerais me passer de tout ça, je n'aime pas particulièrement participer au barnum du marketing et de la pub. Mais comme expliqué plus haut, difficile de consacrer deux à trois heures par jour à une activité qui ne rapporte rien quand on est free lance. Et les rares tentatives consistant à proposer un abonnement, même complètement dérisoire, ont échoué bruyamment (= la blogueuse s'est fait lyncher). Alors peut-être que la pub n'est finalement que la moins pire des solutions ?
Quant aux cadeaux et autres avantages en nature, je me souviens d'une lectrice qui avait écrit dans les commentaires un jour où l'on m'avait interpellée sur le sujet qu'après tout, c'était un plus, comme les tickets restos, mutuelles et autres chèques vacances auxquels on a droit lorsqu'on est salarié et sur lesquels on peut s'asseoir lourdement quand on sort de ce système. Je trouve ce parallèle pas si con.
Je crois surtout qu'en réalité, le problème est dans la qualité de ce qui est proposé. Parce qu'un blog qui devient une succursale de Séphora, Maje, Asos ou La Redoute n'a pas un intérêt énorme. Et qu'au final, la sanction sera une évaporation de son auditoire. Bref, au lieu de mettre de la morale et de l'éthique dans ce débat, mieux vaut je pense faire confiance à la régulation naturelle, qui fait que les blogueurs arrogants, malhonnêtes et dotés d'un melon à faire peur finiront par disparaitre. Et que si ça n'est pas le cas, c'est peut-être parce que tout simplement, sur la toile comme ailleurs, les gens adorent détester. Et dans ce cas, grand bien leur fasse. Et je m'inclus dans "ces gens", étant une grande lectrice aussi, pour de bonnes mais aussi de mauvaises raisons (je ne suis pas que bonté vous savez ?) Rappelez-vous seulement que lorsque vous cliquez sur la page d'un ou d'une blogueuse que vous méprisez, vous lui apportez en général un peu d'argent. Donc la meilleure façon de punir définitivement quelqu'un que vous considérez comme mauvais est probablement de le rayer de vos favoris plutôt que d'y aller de votre commentaire acerbe.
Voilà, je n'ai jamais été je crois aussi longue et je n'ai finalement pas vraiment fait de questions - réponses. Et le pire c'est que je pense ne pas avoir vraiment abordé l'essentiel, à savoir pourquoi blogue-je. La réponse, c'est très certainement que je n'en sais rien. Après tous ces billets, toutes ces années, je ne sais pas ce qui me meut tous les jours, ou bien si, en réalité je sais que c'est une quantité infinie de raisons qui me poussent à continuer: le plaisir d'écrire, le fait d'attendre vos réactions, la liberté que je m'accorde malgré tout sur ces pages, les rencontres virtuelles ou réelles qui en découlent, les discussions qui sont générées dans les commentaires, la vie différente que cela a fini par m'apporter, le sentiment de contribuer peut-être, un tout petit peu à la création d'un lien social. Et une foultitude d'autres choses à découvrir encore.
Voilà, en blog comme en tout, il n'y a finalement pas - et c'est regrettable - (ou pas ?) de vérités définitives...
Edit: Sinon, juste, pour terminer, ce blog, comme je l'avais déjà écrit ailleurs, me rapporte un peu d'argent mais pas énormément (la crise n'aidant en rien, les budgets pub en effet sont au plus mal). D'autre part, mes activités journalistiques ne dépendent quasiment pas de mon blog. Certes, si je pige pour Psycho, c'est un peu au départ par le truchement du blog, mais je crois que si je fermais "pensées de ronde" aujourd'hui, je continuerais à écrire pour eux. Idem pour Cosmétique magazine, ou d'autres collaborations ponctuelles de la presse féminine. Quant aux autres supports pour lesquels je travaille, ils n'ont rien à voir avec le blog. J'y écris sur l'enseignement supérieur, sujet qui fut le mien durant des années et qui continue de me passionner. Tout ça pour dire que si dépendance il y a aujourd'hui vis à vis de ce blog, elle est tout sauf financière.