Hier dans les commentaires, il m'a été demandé de revenir sur cette histoire de collège dont j'avais parlé l'année dernière au moment des inscriptions en 6ème. Sur le mode "tu parles d'égalité, c'est très bien, mais il me semble que toi même tu as eu des hésitations au moment de mettre tes enfants dans un établissement de mauvaise réputation". Je précise que la question était posée gentiment, ce qui tout de suite donne envie de répondre. Et puis je crois qu'en effet, ça ne sert pas à grand chose de professer des grands principes pour n'être que très moyennement droite dans ses bottes quand il s'agit de balayer devant sa porte.
Je ne vais pas vous refaire tout le film, je m'étais longuement exprimée dans ce billet. Mais pour faire simple, nous habitons du mauvais côté de la rue. Enfin, du mauvais côté pour qui considère donc que le collège sur lequel nous sommes sectorisés, c'est comme qui dirait le bronx. Sachant que "qui" égale en l'occurence 90% des parents d'élèves du quartier. Je veux dire, depuis huit ans que nous sommes installés dans cet appartement, à chaque fois qu'on m'a demandé - dès la troisième année de maternelle - où iraient mes grands après le primaire, ma réponse a provoqué des regards aussi désolés que si j'avais annoncé qu'on n'avait pas de papiers. Suivis de ces quelques mots: "non mais au pire tu les mettras dans le privé".
Autant vous dire que donc l'année dernière, j'ai commencé à m'inquiéter un peu. Allais-je me plier à la carte scolaire (qui existe donc toujours, hein, ceux qui penseraient le contraire se trompent) ou allais-je déployer des trésors d'ingéniosité pour permettre à mes chers petits d'échapper à toutes les avanies qu'on leur prédisait si d'aventure ils se retrouvaient dans cet établissement pourri ?
Bien sûr, ça me gênait aux entournures. Mon coeur à gauche, la mixité, toussa toussa. Et en même temps, mes bébés, quoi. Leur avenir, Henri IV, Sciences-Po Paris, l'ENA, la PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE, comment cela serait-il possible s'ils étaient marqués au fer rouge du collège poubelle ?
La situation s'est singulièrement complexifiée lorsque j'ai appris qu'en plus, le collège en question ne comptait qu'une seule sixième bi-langue (anglais et allemand dès la première année), alors même que de l'avis de leurs instits, ils avaient tous deux le profil pour commencer cet apprentissage linguistique dès la sixième. On m'objectera qu'on peut tout à fait réussir sans faire de l'allemand. Vrai. Mais je ne vais pas vous raconter d'histoires, la bi-langue, c'est aussi en langage non politiquement correct la "bonne" classe. Ce qui, quand vos enfants se débrouillent pas trop mal, semble la voie toute tracée. Sans compter qu'ils avaient fait de l'allemand en primaire et que je trouvais un peu idiot de perdre ces acquis.
Bref, me refusant dans un premier temps à magouiller, j'ai rempli docilement le formulaire de dérogation, expliquant que je souhaitais que mes enfants ne soient pas dans la même classe, mais tous deux en bi-langue, et que cela n'était pas possible dans le collège A mais par contre envisageable dans le B, plus grand. (je précise qu'en l'occurence, le collège B n'est pas vraiment une succursale d'Henri IV, un poil mieux réputé mais pas non plus le must).
Résultat: une réponse négative et lapidaire, m'expliquant que les effectifs ne permettaient pas d'accepter cette demande.
A ce moment là, le directeur de leur école primaire, mais aussi certains parents délégués, amis ou anciens collègues m'ont invitée à jouer des coudes, à aller pleurer au rectorat, à faire jouer la carte de presse, à trouver une vieille cousine conciliante habitant dans le 5ème arrondissement, ou, en désespoir de cause, donc aller dans le privé.
J'ai beaucoup réfléchi, j'en ai parlé ici et lu de nombreux commentaires m'invitant à être, justement, un peu cohérente. Certaines d'entre vous, profs dans le quartier, m'ont même gentiment écrit pour me rassurer, non, le collège A n'était pas si pourri que ça, l'équipe enseignante était super, etc.
On a aussi beaucoup parlé avec les twins. Eux, leur problème, ce n'était ni le fait d'être dans la même classe, ni la mauvaise réputation du collège. Ce qui les angoissait, en réalité, c'était l'idée d'arriver sans un copain en 6ème, du fait notamment que la majorité de leurs amis étaient soit sectorisés dans l'établissement B, soient avaient réussi à contourner le système.
Avec le churros, on s'est dit que ça n'était pas une raison suffisante pour piétiner nos principes. Que des amis, on s'en fait à tous âge et que les anciens copains ils les verraient le week-end. Et donc, on a décidé tous ensemble qu'on allait arrêter les frais et ne pas déclencher l'opération "désectorisation".
Ce qui m'a considérablement détendue du gland, je suis du genre à ne JAMAIS envoyer les lettres de contestation en cas de PV injuste ou amende dans le métro pour cause d'oubli de mon pass navigo. J'ai déjà du mal à envoyer mes fiches de sécu ou encaisser mes chèques, alors aller RECLAMER, n'y pensez pas. Et puis j'ai appris au cours de ma déjà un peu longue vie, que demander un service revient la plupart du temps à vous enchainer à celui qui vous aura fait bénéficier d'un passe droit.
Bref, mes enfants sont donc entrés en sixième dans un collège classé ZEP faisant office de repoussoir dans le quartier depuis des années.
Et...
Et c'est génial.
Je veux dire, ce n'est pas, "ça va", "ils s'en sortent", ou "c'est pas si pire".
Non, c'est GENIAL.
A savoir que la classe bi-langue c'est certes une bonne classe, mais pas un groupe d'élite isolé au milieu d'un dépotoir. Que l'équipe enseignante est en effet soudée, ultra motivée (du genre à vous appeler pour vous demander si vos gamins veulent aller voir la mélodie du bonheur demain soir avec l'autre sixième, rapport qu'il reste des places), ultra compétente, ultra présente (en un trimestre, déjà deux rencontres organisées avec les enseignants en tête à tête). Je compte sur les doigts d'une main les absences de professeurs. Ils partent dix jours en classe de neige en mars, à un tarif tellement correct que tous les gamins ou presque peuvent y participer (ceux ne venant pas ayant décliné pour des raisons qui n'ont aucun rapport avec l'argent). Les mômes sont hyper suivis, la moindre absence est signalée, les retards sont sanctionnés et l'interface web permet de suivre tout ceci en temps réel, notes et devoirs à faire compris.
Le statut ZEP permet d'avoir des effectifs raisonnables (25 dans leur classe contre beaucoup plus dans certains collèges à Paris), mais aussi accès à des activités financées par la mairie, en l'occurence un atelier cinéma au cours duquel ils réalisent des courts métrages d'un niveau qui n'a rien à envier à des films professionnels.
Surtout, jamais je n'avais eu autant l'impression d'être impliquée dans la vie d'un établissement. Le proviseur insiste à chaque réunion sur l'importance pour les enfants et les enseignants que les parents se sentent aussi chez eux au collège, et ça n'est pas une simple déclaration d'intention. Par deux fois par ailleurs, je suis entrée aux heures de cours, et j'ai pu constater que cette sérénité que je devinais était bien réelle, même en dehors des rassemblements parents / enseignants.
Quant au "niveau", franchement, il ne me semble absolument pas différent de celui des collèges attenants. Alors bien sûr, tout n'est pas parfait, bien sûr il faudrait probablement plus d'encadrement, bien sûr si tous les gamins "sans problèmes" n'avaient pas déserté vers d'autres établissements, la mixité serait encore plus garantie. Mais quand je pense au tableau apocalyptique que l'on m'avait dessiné, j'ai tendance à me marrer.
Je ne vous cache pas que j'ai du mal à me retenir de jubiler quand j'entends certains parents d'anciens copains regretter leur choix, constatant que les collèges pour lesquels ils ont opté finalement, et bien ça n'est pas toujours le Pérou. Je ne vous cache pas non plus que je fais un lobbying d'enfer pour vanter les mérites du collège A, auprès de qui veut bien l'entendre (ma boulangère n'en peut plus). Mais je sais aussi que c'est une des techniques les plus efficaces pour faire changer une réputation. Parce qu'une réputation, c'est comme les rumeurs de séparation entre Vanessa et Johnny, ça se fonde souvent sur du vent.
Bref, la leçon de tout ça, c'est que je me suis fait des cheveux blancs pour rien. Surtout, je suis bien contente de m'être arrêtée à temps, avant d'avoir recours à des stratagèmes qui ne grandissent personne. Et que parfois, il faut cesser d'anticiper les problèmes. Ceux-ci arrivent en général toujours quand on ne les a pas sonnés ni imaginés.
Donc la carte scolaire, et bien je crois que c'est une bonne chose. Parce que dans mon cas, si elle n'avait pas existé, mes enfants seraient probablement passés à côté d'une très belle année. Et d'un établissement pas forcément rutilant, mais doté du plus important : une âme.
Edit: quant au fait d'être dans la même classe, ce n'est pas l'idéal tous les jours, mais cela présente des avantages certains, surtout pour le machin à vrai dire qui voit toutes ses étourderies rattrapées par sa soeur. A terme je ne suis pas certaine que ça l'aide à prendre ses responsabilités mais cela nous épargne pas mal de crises de nerf et égoistement je m'en réjouis. Et puis Claire, maman gemellaire, m'avait donné plein de conseils hyper judicieux dans un mail en septembre qui s'avèrent très efficaces...
Edit 2: Il est évident que ce qui vaut pour ce collège ne vaut pas nécessairement pour tous, que parfois on n'a pas le choix, que chacun voit midi à sa porte etc etc etc.