A treize ans, la Grande Sophie avait déjà monté un groupe avec son frère et jouait dans le garage de la maison familiale à Marseille. Et à bien y réfléchir, elle dit qu'en fait elle a toujours su qu'elle serait chanteuse. Pas forcément une nécessité impérieuse, ni un désir violent, mais une évidence. Même dans les moments où elle a pris un peu le large, aux Beaux-Arts par exemple, où elle a étudié après le bac, elle ne pouvait s'empêcher de mettre de la musique. "Je construisais des formes à côté desquelles je posais des petits hauts-parleurs qui diffusaient ma voix ou un air que je jouais à la guitare. A un moment, j'ai réalisé que la musique ne me lâcherait jamais".
Alors Sophie "monte à Paris", un rêve qu'elle chérissait depuis sa première visite de la capitale à 12 ans. Et elle n'a plus jamais arrêté d'écrire, de composer et de chanter. Il y eut des périodes plus faciles que d'autres, des petits boulots pour manger, mais elle refuse de parler de galère, un mot qu'elle n'aime pas, qui ne reflète pas sa réalité. Il y eut des albums aussi, des critiques de plus en plus encourageantes et un noyau de fans fidèles, présents à chaque concert. La Grande Sophie n'est pas de celles qui se font paparazzer au Baron ou sur la place des Lices, qui trustent les radios ou deviennent jurés dans des émissions de télé-réalité, mais elle a su au fil des ans faire sa place dans le paysage embouteillé de la chanson française. Avec une constance et une authenticité qui la distinguent de toutes les comètes qui brillent le temps d'un album. Ça c'est moi qui le dit, Sophie, elle, parle d'un chemin qu'elle s'est tracé, de plaisir et de travail. Elle dit aussi qu'elle est un peu sauvage et qu'elle a la création solitaire.
Si je l'ai rencontrée, c'est parce que depuis un mois, j'écoute littéralement en boucle son sixième album, "La place du fantôme". Un rendez-vous que j'ai sollicité, ce que je ne fais jamais (l'idée même de demander quoi que ce soit est la plupart du temps pour moi une torture) mais là, je ne saurais l'expliquer, cet album m'a tellement bouleversée, m'a tant parlé, que j'avais cette envie un peu fleur bleue de pouvoir l'en remercier.
Quand l'adorable Coralie de chez Polydor m'a prévenue que ce serait donc pour mardi, 17h au Delaville café, j'ai dans un premier temps sauté de joie, puis été la seconde d'après complètement tétanisée. Une fois que je lui aurais dit merci, qu'est-ce que j'allais bafouiller, moi qui ne connais rien à la musique et qui pour toute critique musicale dispose dans ma besace de deux expressions: "j'adore/non, trop de guitare électrique" ?
Trop tard, le truc était lancé, alors je me suis pointée pas bien fière, en priant pour que La Grande Sophie soit du genre compréhensive et aimable, pas l'artiste allergique à toute question sortant du cadre promotionnel ou ostensiblement agacée de se cogner la promo.
Ce fut, vous vous en doutez, la première option. D'une grande douceur, Sophie plante ses yeux dans les vôtres pour vous répondre et a l'élégance de sembler trouver pertinentes les questions les plus anodines (en même temps, est-ce que "il est merveilleux cet album" est une question ?). Plaisante et discrète, avec cette légère distance qui fait qu'on se garde bien d'être intrusive. Ce qui n'aurait de toutes façons que peu de sens tant elle se livre dans l'album. Les dix morceaux de La place du fantôme déroulent en effet le fil de ce qui pourrait être l'histoire d'une rupture, ou d'un deuil, effleure la douleur du renoncement à un enfant qui ne viendra "peut-être jamais" mais qu'elle continuera d'attendre, toujours. Une prière à qui ne doit pas l'oublier, une réflexion sur le temps qui passe, dans cette chanson miroir, "Tu fais ton âge", ou une lettre à Suzanne, l'amie imaginaire à qui Sophie demande "ce qu'elle a fait de ses étoiles". "Qui tiendra ma main, qui prendra mon pouls, qui changera les fleurs", demande encore Sophie, dans "Sucrer les fraises". "J'irai planter ma tente, dans l'Eden chez Dante, un jour".
Un disque écrit au cours (au terme ?) d'une période dont on comprend à demi-mots qu'elle fut douloureuse, des chansons pour solder le passé et entamer un nouvel épisode, "passer à autre chose". Un disque intime sans jamais être impudique, peut-être parce que la presque totalité des chansons s'adressent à cet autre, cette présence, le fantôme qui donne son nom à l'album. Peu de morceaux au "je" et à l'arrivée des chansons qui parlent de nous, aussi. Un disque sur la féminité, la peur de se flétrir, le coeur qui devient "un jardin ou les fleurs n'ont plus de parfum", le désir qui fuit, l'appétit du temps qu'on n'arrête pas. Un disque mélancolique où la voix de Sophie prend toute son ampleur, grave sur certains morceaux, plus aigue sur d'autres. Des paroles parfois sombres qui contrastent avec certains mélodies dansantes, et ligne de fond, ce plaisir qu'elle semble prendre à les chanter.
J'ai aimé que La grande Sophie confie sa joie de lire des critiques aussi positives sur ce qui fut un travail de plusieurs mois. Qu'elle insiste aussi sur le labeur, justement, corollaire de cet aboutissement, la constance dont il faut faire preuve lorsqu'on souhaite tracer sa route en chansons. J'ai aimé aussi sentir sa joie de repartir sur scène: "pour une rêveuse comme moi, la tournée c'est du réel, de l'instant, pas question de se projeter dans un futur", l'aveu du trac, sa peur panique d'oublier les textes et la fébrilité de l'avant. J'ai aimé qu'elle ne semble pas particulièrement s'apprécier en photo alors qu'elle est, sans artifice aucun, ce qu'on appelle une belle femme.
La Grande Sophie joue au Café de la Danse la semaine prochaine mais je crois que c'est complet. En revanche elle sera au Trianon le 29 mai et croyez-moi, pour l'avoir vue il y a quinze ans sur une minuscule scène, elle déménage. Pour tout savoir des dates de tournée, c'est ici.
Un grand merci à Coralie...
Edit: Oui bon j'étais contente je crois que ça se voit. J'ai sorti mon sourire n°1, celui qui fait disparaitre mes yeux, enfin surtout un. En même temps sinon il y a la version constipée, qui dans un autre genre est pas mal non plus.
Edit 2: je préférerais qu'on n'aborde pas le sujet de ma frange wawy.
Edit 3: allez, pour celles et ceux qui ne connaitraient pas: