Tout a donc commencé mardi soir vers 22h. Je revenais d'une petite dinette bloguerie au demeurant fort sympathique. A peine arrivée, le churros m'informe que la grande a mal au ventre. Forte de ma sérénité légendaire, je pense gastro, je pense puberté, je pense: pas grave.
Par acquis de conscience, je vais tout de même vérifier de moi même la bête. Que je trouve agonisante dans son lit, le teint aussi frais qu'un cheval roumain prêt à partir en barquette.
Disparue ma sérénité légendaire, je pense alors appendicite, je pense hépatite, je pense GRAVE.
Et je suggère gentiment au churros d'appeler SOS médecins.
TOUT DE SUITE.
Une heure après, arrive ledit médecin, que je catalogue immédiatement dans la catégorie des incompétents quand, alors qu'il demande à ma fille de venir dans le salon pour qu'il l'examine et que je lui réponds qu'elle en est incapable, il me toise de manière ultra condescendante sur le mode: "cessez d'exagérer, elle ne va sûrement pas si mal".
Il finit malgré tout par se déplacer jusqu'à son lit et l'examine en trois minutes, pour déclarer que cette enfant souffre... de constipation. "Je veux bien, docteur, mais elle est constipée depuis sa naissance et jamais je ne l'ai vue souffrir de la sorte", lui dis-je, aimablement, mais fermement. Trop tard, le gars est déjà en train de remplir son ordonnance de Forlax, il est pressé. C'est qu'il a d'autres vies à sauver, aussi.
Je tente un timide "et l'appendicite, non ?", qu'il ignore superbement. Il ordonne à la chérie de se lever, elle obtempère, pliée en deux. "Vous voyez bien qu'elle peut se mettre debout", applaudit-il victorieux. Et puis il part.
Le churros, dont la perspicacité est sur la jauge quand il s'agit d'urgences médicales se range à l'avis du médecin, d'autant qu'il a envie de dormir. Peut-être aussi parce que je l'ai envoyé une bonne trentaine de fois aux urgences en pleine nuit pour rien et que chat échaudé, bla bla bla.
Je me range à la majorité et recouche ma fille, moyennement tranquille.
A deux heures du matin, j'entends les vomissements. Je nettoie (= je demande au churros de nettoyer) et décide de garder la chérie à mes côtés, histoire de voir comment ça tourne. C'est au moment où elle me dit dans un râle: "maman, assomme moi, comme ça je n'aurai plus mal" que je décide d'appeler le Samu. Un peu radical ? Pas pour moi, je les ai déjà dérangés il y a une dizaine d'années parce que mon fils avait pondu une crotte bicolore, puis quelque temps plus tard parce que ma fille avait la migraine (je vous épargne les multiples coups de fil au 15 pour cause de palpitations. "Mon coeur bat très vite, j'ai peur". "Ce qui serait inquiétant c'est qu'il ne batte pas, madame. Prenez un lexomil et laissez nous travailler"). Qui n'a jamais eu de crises d'angoisses me jette la première pierre.
M'attendant plus ou moins à me faire remballer par le régulateur - à tous les coups quand mon numéro s'affiche il est inscrit sur le moniteur que c'est la cinglée du 13è -, je déballe d'un trait mon histoire. Et là, étrangement, mon interlocuteur me prend au sérieux et m'informe qu'il m'envoie une ambulance.
J'étais inquiète, je suis désormais paniquée.
Mais étant donné qu'il faut en dix minutes se rhabiller, trouver le carnet de santé, la carte vitale, celle de mutuelle, etc, pas le temps de m'interroger. S'en suit une traversée d'un Paris désert à toute blinde, feux rouges avalés les uns après les autres. Je serre la main de la chérie et je me convainc que tout va bien, au pire elle est vraiment constipée et je vais juste passer pour une demeurée.
Je n'ai jamais eu autant envie de passer pour une demeurée.
Guess what ? L'interne de garde exauce mon voeu. Alors que les urgences de ce grand hôpital parisien spécialisé dans les enfants malades sont étonnament vides, cette jeune femme ne juge pas utile d'aller plus loin qu'une simple palpation du ventre. Et sautant sur l'occase lorsque je lui rapporte les propos du médecin précédent, elle confirme le diagnostic: ma fille a surtout besoin de faire caca. Les vomissements ? "Faut bien que ça sorte par quelque part". La douleur aussi violente ? "Ça peut faire mal, la constipation, madame (entendre: "pauvre conne")". Et une échographie, une prise de sang, quelque chose ? "Inutile, ça ne PEUT PAS être l'appendicite, je vous dis". Et de nous renvoyer chez nous, à 4h du matin dans une nuit glaciale, sans même prendre la peine de m'appeler un taxi. Non sans m'avoir asséné une leçon de morale parce que je suis en retard pour le vaccin contre la méningite. Le rapport avec le mal de ventre ? "Aucun madame, mais vous feriez mieux d'être sérieuse à ce sujet plutôt que de paniquer pour un petit mal de ventre (entendre "pauvre conne, bis")".
J'envisage de lui faire bouffer son stéthoscope et ce n'est que la peur de la prison - je n'ai jamais aimé la promiscuité - qui m'en empêche.
Me voilà donc avec ma fille toujours pliée en deux, grelottant, cherchant désespérément à joindre la compagnie G7, qui par miracle finit par me répondre.
Retour à la maison avec cette impression de vivre un mauvais rêve, telles deux cendrillons arrivées en carosse hurlant et repartant bredouilles mais toujours pas débarrassées de ce mal de ventre foudroyant.
On se recouche pour deux heures à peine et à 7h, re-vomissements, toujours cette douleur et en prime, la fièvre qui monte. Et cette certitude: les dix années d'études de madame désagréable ne pèsent pas bien lourd face à cette conviction maternelle (+ mes trente années d'hypocondrie qui font de moi la meilleure interniste de Paris): elle me fait une appendicite.
Mon frère ayant justement prévu de déjeuner avec nous, je lui demande alors de venir un peu plus tôt, histoire de donner un énième avis. Certes, mon frère n'a sûrement pas envie que je lui colle un procès. Certes, il sait à quel point je peux être chiante et collante. Certes, il redoute que je l'appelle par la suite toutes les heures pour qu'il me confirme que non, elle n'a rien de grave. Mais je crois que rien de tout ça ne joue lorsqu'à peine arrivé, il lui faut à peu près dix secondes pour décréter que je dois absolument retourner à l'hôpital. La chérie est apathique, pâle et douloureuse. Et désormais il est impossible de passer la main sur son abdomen sans qu'elle hurle.
Nous voilà donc reparties en taxi - je prévois un décollage de l'action G7 dans les jours à venir - direction le grand hôpital où ils n'auront qu'à rouvrir le dossier de la patiente au caca coincé.
Je vous passe les détails mais la lettre de douze pages de mon frère expliquant qu'invoquer la constipation sans autre analyse est tout de même un peu léger a eu son petit effet (à moins que tout simplement nous soyons tombées enfin sur un médecin digne de ce nom).
Après une journée à enchainer les examens ainsi que des heures à poireauter dans une salle d'attente bondée d'enfants souffrants, on finit par nous annoncer officiellement, à 20h et des brouettes, que c'est bien une appendicite et que dites donc, à force d'avoir trainé, c'est une urgence.
SANS BLAGUE.
Je serais du genre chiante, c'est à ce moment là que je sauterais partout en répétant hystériquement "je l'avais dit, je l'avais dit". Mais j'ai le triomphe modeste. Et la rancune tenace: pas un employé de l'hôpital n'ignore que madame caca devrait envisager une reconversion. En plomberie par exemple.
Bref, à partir de là, tout s'est accéléré et une heure plus tard je laissais ma fille à l'entrée du bloc opératoire, entre les mains d'une chirurgienne semblant sûre de son fait et d'un infirmier que je n'ai pas revu ensuite mais que j'aime à vie, pour m'avoir promis de prendre soin d'elle comme si c'était la sienne. Pile les mots dont j'avais alors besoin pour accepter de me décoller du brancard. A l'hôpital, pour une personne insupportable, il y en a cent qui mériteraient une médaille.
Je me souviens ensuite être partie un peu titubante dans la nuit glacée, avoir traversé l'hôpital immense, trouvé une sortie, être entrée dans un bar et commandé une bière. J'avais déjà vécu ces heures impossibles quelques fois. Ces instants où l'on ne peut qu'invoquer les anges auxquels on ne croit pas, pour que tout aille bien. L'appendicite, ça n'est rien. Mais on sait aussi que parfois, un rien ne l'est pas tant que ça. On sait, peut-être un peu plus que d'autres désormais, que la vie peut vous cueillir.
Le churros est arrivé après avoir déposé Rose et son frère chez des amis et nous sommes revenus tous les deux dans l'enceinte de l'hôpital. Après une attente interminable et pourtant pas si longue, on nous a finalement invités à retrouver la chérie en salle de réveil.
J'ai posé mes lèvres sur son épaule et respiré son cou. Elle sentait le nouveau né.
Lorsque je me suis en allée vers 2h du matin, j'ai croisé un enfant, des électrodes sur les tempes et le front. Sûr qu'il avait hélas, plus qu'une appendicite. Les infirmiers l'emmenaient dans un autre bâtiment et poussaient son brancard avec célérité pour lui éviter, j'imagine, de prendre froid. Le petit garçon riait, riait, de cette course sur les graviers. "Plus vite", il criait. "Plus vite".