Dabord, il y a la réminiscence d'un goût aimé. Souvent sucré. L'idée d'un carré de chocolat au lait, la douceur d'une madeleine ou l'acidité délicieuse d'une tarte au citron, par exemple. Petit à petit, ce souvenir s'installe insidieusement et se rappelle à toi de manière obsédante. Il t'en faut. Tu essaies de chasser l'envie, de penser à autre chose. Mais tu salives de plus en plus, tu ne peux plus rien faire, il t'en faut. Tu sais que chez toi, il n'y a rien de tout ça, tu t'interdis d'en acheter, pour ne pas céder. Mais aujourd'hui, ça ne changera rien.
Un fumeur hésite-t-il à traverser la ville le dimanche soir pour trouver un paquet de cigarettes ?
C'est décidé, tu y vas. Tu cours vers le supermarché le plus proche. Tu prends, vite, la tablette de chocolat à l'origine de la compulsion. Et comme tu sais qu'une fois la crise enclenchée, ça ne suffira pas, tu rafles quelques paquets de gâteaux, peu importe lesquels. Une fois ton butin amassé, tu rentres chez toi et prends le temps de t'installer. Tu sais que le bonheur sera de courte durée, alors autant l'optimiser.
Assise sur ton canapé, la télécommande à portée de main, tu déchires soigneusement le papier argenté. La vue du chocolat velouté excite tes papilles. Tu casses un morceau, et le porte à ta bouche, fébrile et impatiente. Les premiers effluves parviennent à tes narines et commencent à calmer le manque. Puis ta langue apprécie la douceur sans aspérité du petit carré. Très vite, le jus divin tapisse ton palais. Les récepteurs transmettent à ton cerveau la sensation de bien-être. Tu te sens calme, tes pensées errent sans entraves, ton corps se détend. Tu n'es plus ici, tu n'es plus toi, tu n'es plus que ce carré de chocolat qui fond voluptueusement pour couler ensuite dans ta gorge.
Le shoot a commencé.
La première bouchée est la meilleure, la seule qui vaille. Les autres ne seront que de vaines tentatives de parvenir à nouveau à l'extase. Et cette impossibilité te poussera alors à engloutir, de rage et de désespoir, tout ce que tu as acheté en plus. Jusqu'à l'écoeurement ultime, la nausée finale.
Seulement toi, tu ne vomis pas. Tu n'as jamais su, jamais pu. Oh, tu as essayé, tu as enfoncé ton doigt dans ta gorge plus d'une fois. Mais ton corps refuse. Il veut garder ce que tu viens de lui donner. Non, tu ne vomiras pas, tu ne sais que te remplir.
La descente est aussi douloureuse que la montée fut euphorique. La culpabilité te fait mal. Tu pétris ton ventre violemment, tu te frapperais si tu le pouvais. Pour te calmer, tu finis par t'inventer un demain différent. Oui, c'était la dernière crise. Demain, tout à l'heure, même, tu feras du sport. Tu ne mangeras rien, ou alors si peu. Demain, tu maigriras. Demain, tu décrocheras.