Hier j'étais à une conférence très sérieuse qui rassemblait des centaines de gens très sérieux, réunis pour parler de sujets très sérieux. Je vous ferai grâce du contenu des débats, non qu'ils ne furent pas passionnants mais on est vendredi tout de même (et en plus à l'heure où vous me lisez j'y suis encore). Ce que j'avais malgré tout envie de vous raconter, c'est cette intervention d'Ellen Mac Arthur, guest star du colloque et qui en a clairement illuminé l'ouverture.
C'est fou comme on ne sait pas faire ce genre de choses, nous les frenchies. Je veux dire, des symposiums, forums, rencontres ou quel qu'en soit le nom, j'en ai des kilomètres au compteur. Quand on a bossé comme je l'ai fait durant dix années ou presque dans la presse professionnelle et qui plus est spécialisée sur l'enseignement supérieur, le colloque c'est un peu THE place to be. Il y en a qui partent à Bengazi, d'autres qui connaissent tous les palais des congrès de France et de Navarre. Tout le monde ne peut pas s'appeler Florence Aubenas, hein. Certes c'est moins dangereux de prendre des notes dans un amphi que derrière les barricades, mais ça n'en est pas moins riche d'enseignements. Etant entendu d'ailleurs que ce qui se dit dans les pauses café et les couloirs est systématiquement bien plus important que tout ce qui sera débité à la tribune au gré des (fuckings) powerpoints. (donc on est tout de même dans l'investigation, pardon).
Mais l'idée n'était pas de vous convaincre que tous les journalistes dignes de ce nom ne sont pas obligés de mettre leur vie en danger pour mériter leur carte de presse, j'arrête là ma digression.
Ce qu'on ne sait pas faire, disais-je, nous les frenchies, c'est faire le show. Je ne dis pas qu'il n'y a pas parfois quelques orateurs chevronnés, mais la plupart du temps, on n'est tout de même pas là pour rigoler. Aux humoristes les blagues, aux gens sérieux... le sérieux. Parce que voyez-vous, tout ceci, c'est... sérieux.
Comme si on avait peur de mettre dans nos discours un peu de nous, un peu de vie, un peu d'intime, un peu d'anecdotes. Parce que les titres si précieux chez nous, de directeur, président, délégué général, député, ministre, etc ne sauraient s'accomoder d'allusions relevant de la stricte vie privée ou de plaisanteries qui pourraient laisser penser qu'en dehors de notre fonction très honorable, nous sommes des êtres de chair et de sang, capables... d'émotion.
Les anglo-saxons, sans vouloir tomber dans le cliché - mais quand même - savent, eux. Ils n'ont pas peur. Mieux, ils ne peuvent la plupart du temps même pas concevoir de ne pas faire deux ou trois blagues, raconter une mésaventure ou s'appuyer sur un témoignage personnel pour mener à bien leur raisonnement. Ça fait partie du job. Et le pire, c'est qu'en général, les auditeurs français, adorent ça (bon, souvent, on voit bien qu'on rigole tous aux blagues in english sans être convaincus de les avoir compris) (ça fait con de mettre le casque de traduction) (le pire c'est quand ton voisin te demande de lui expliquer la joke en question, alors que tu t'es contentée de ricaner en même temps que tout le monde) (moments de grande solitude en mémoire).
Bref, j'ai été longue et je le crains un peu lénifiante, (en même temps je suis française) et je n'en suis pas encore arrivée à mon sujet.
Hier, Ellen Mac Arthur. 1m60 à tout casser, taillée comme une gamine, cheveux noirs coupés à la garçonne, pas un pet de maquillage et yeux de husky, est montée à la tribune et a commencé à raconter son histoire. Une histoire extraordinaire illustrée de photos la montrant à cinq ans dans un bateau qu'elle avait bricolé dans son jardin, de clichés de son arrière grand-père ancien mineur ou de souvenirs de ses tours du monde dans des monstres de mer dont on a peine à croire qu'avec ses 40 kilos tout mouillés elle ait pu les maitriser. Après avoir réalisé son rêve de tour du monde et gagné tout ce qu'il y avait à gagner comme courses (alors qu'elle n'avait jamais navigué avant de se chopper une mononucléose à 22 ans et de décider de se lancer dans ce qui était son objectif depuis toujours), Ellen Mac Arthur a soudainement arrêté la compétition pour s'investir dans quelque chose d'encore plus grand. Elle a créé une fondation pour, rien de moins, "repenser le futur". Ça lui est venu lors de son dernier périple, cette idée que les ressources de la planète étaient limitées et qu'il fallait se pencher sur la question.
Sauf qu'Ellen, quand elle se penche sur une question, elle y va à fond. Elle a bossé, lu des centaines de thèses, rencontré les plus grands scientifiques. Et s'est passionnée pour le principe d'une économie circulaire. En gros, l'idée c'est de penser la production industrielle comme quelque chose de renouvelable en permanence. Ça semble simple, mais ça ne l'est pas tant que ça. Mais là où ça me plait, c'est que ça change un peu des discours écolos culpabilisants sur le mode : tous aux abris, à fond dans la décroissance sinon on va tous mourir, jetez vos baignoires, allumez les bougies et ne tirez plus la chasse. Là, il est question de continuer à produire, mais différemment, avec dans l'idée que les ressources étant limitées, il faut les ré-utiliser à l'infini.
Parce que ça ne serait pas juste de dire aux nouvelles générations qu'en raison de l'épuisement du pétrole et du réchauffement de la planète, ils ne doivent avoir à l'esprit qu'une chose: réduire leur empreinte carbone. Quand on est jeune, on a envie de tout essayer, de créer, d'espérer. On ne peut pas se contenter de leur apprendre à économiser l'énergie, a expliqué Ellen. Surtout, et ça c'est moi qui le rajoute, on s'est bien gavés, nous, pendant des années, et puis maintenant en gros, tout ce qu'on saurait dire aux populations des pays en voie de développement ou à nos enfants, c'est de se priver de ce que nous on a tout de même bien apprécié.
Je ne vous la fais pas plus longue, juste, ce qui a été assez amusant, c'est que l'assemblée très sérieuse a d'abord été un peu étonnée par les photos du grand-père et les récits de cette intervenante pas sur-diplômée. Et qu'au fil des minutes, on n'entendait plus une mouche voler. A la fin, ils faisaient la queue pour aller lui parler. Pas de ses courses en solitaire, non, de sa fondation, de la façon dont il serait possible en effet de collaborer.
Comme quoi, on peut faire passer des idées en étant le contraire de chiant. Et ça, ce serait tout de même vachement bien que certains gars qui misent un peu sur notre bulletin de vote dans quelques semaines en prennent de la graine.
Voilà, bonne journée. Lundi je vous parlerai de ma dernière fachionerie (se dit d'un achat de fringues uniquement motivé par une absence totale de personnalité).
Ah et allez sur le site de la fondation d'Ellen Mac Arthur, tout y est expliqué bien mieux que par moi.