Je reçois souvent des questions par mail. J'avoue, je suis en dessous de tout pour y répondre, d'autant que souvent ce sont les mêmes interrogations. Je me dis que pour me faire pardonner, parfois je pourrais rédiger un billet qui ferait office de mail groupé.
Une des questions les plus récurrentes pourrait être résumée ainsi:
"J'ai envie d'être journaliste, qu'est-ce que tu me conseilles ?"
De faire plutôt ingénieur.
Sans rire, j'éprouve toujours un peu de mal à encourager qui que ce soit à se diriger vers ce métier. Dire qu'il est sinistré est en deça de la vérité. Je parle surtout pour la presse écrite, c'est le secteur que je connais, mais je crois qu'en télé ou radio, la précarité est probablement encore plus de mise. Sinistré, disais-je. A savoir que la presse généraliste souffre, voire agonise depuis des années. Ça se traduit par des rédactions de plus en plus exangues, des CDI de plus en plus rares et des conditions de travail bien plus difficiles qu'avant.
Attention, je ne dis pas que c'est la mine non plus. D'autant qu'il faut bien l'avouer, les journalistes pour certains ne l'ont pas volé. Des années durant ils se sont reposés sur leurs lauriers, ont un peu oublié ce qu'était leur métier - rapporter l'information, pas la commenter à tout va, et puis un peu la chercher, l'info, pas recracher celle qu'on voulait bien leur donner - et aussi leur déontologie.
Mais le fait est que le concept de "newsroom" s'est généralisé, consistant à faire bosser un journaliste sur à peu près tous les supports d'un groupe de presse - ce qui évite d'embaucher - et lui laissant de moins en moins de temps pour l'investigation.
Mais revenons à nos aspirants journalistes. Le secteur n'est pas en grande forme, à l'exception peut-être de la presse pro, mais même cette dernière, après avoir beaucoup prospéré ressent les effets de la crise. Sans compter que le web devient de plus en plus un réflexe et que le modèle économique en la matière n'a toujours pas été trouvé.
Reste la pige. Solution que j'ai choisie personnellement depuis deux ans, après huit ans en agence de presse spécialisée. Ce statut me plait bien parce qu'il me permet d'écrire pour des supports très différents les uns des autres (et après avoir pondu de la dépêche sur l'enseignement supérieur matin, midi et soir pendant des années, je vous jure que c'est agréable). Je ne parle ici que de "psychologies magazine" parce qu'il correspond le plus à ce que je fais sur ce blog mais en réalité je pige régulièrement pour cinq ou six autres titres. Et croyez moi il faut bien ça pour se faire un salaire. Parce que si la pige marche paradoxalement pas mal en ce moment - vu que les journaux n'embauchent pas, ils externalisent plus -, il faut en faire beaucoup pour en vivre. Ce qui signifie jongler en permanence avec deux ou trois deadlines différentes, mener simultanément plusieurs "enquêtes", ce qui peut parfois donner lieu à quelques emmêlages de pinceaux (je me souviens d'un article sur la masturbation que je préparais en même temps qu'un sur les masters à l'université et d'un grand moment de solitude avec un interviewé que j'avais confondu).
Je suis en train de me dire que je n'ai pas vraiment répondu à la question ou pas dans le bon sens. Mais c'est un peu voulu. Parce que pour comprendre ma boutade du début, je voulais vous parler de ce quotidien du journaliste qui n'est pas ultra riant. Qui consiste de plus en plus à rester sur sa chaise, à faire de la veille sur internet et, les jours un peu foufous à passer un ou deux coups de fil.
Tableau un peu sombre ? Oui, mais c'est fait exprès. Parce que ma réponse à cette question en réalité, c'est que ce métier on le choisit que si on sent que c'est ça ou rien. Parce qu'il ne faut pas en attendre la fortune, rarement la reconnaissance et souvent en revanche l'angoisse, parce qu'il y a de la pression un peu tout le temps. Même quand on écrit un article pour "Carpe magazine" (ça existe). Parce que se faire le relais de la parole de quelqu'un c'est une responsabilité. Qu'une fois imprimés, les mots, on ne peut plus les changer. Qu'on n'est jamais à l'abri d'une erreur, d'un interlocuteur de mauvaise foi, bla bla bla. Sans parler de l'angoisse de la page blanche, de l'angle qu'on n'arrive pas à trouver, etc.
Mon premier et probablement seul conseil c'est donc celui-ci: bien y réfléchir et ne pas se faire d'illusions, rares sont ceux qui travailleront vraiment à Libé ou au Monde. Nombreux seront ceux qui officieront sur des sites web consacrés à l'actualité des mutuelles, de la formation professionnelle, du cours du blé ou du marché des machines à laver.
Si et seulement si même la perspective d'un CDD à "Secrétaire magazine" vous fait bander, alors foncez. Et si ça se trouve, un jour, vous finirez par réaliser votre rêve et voir votre signature dans le journal que vous considériez comme le graal. Même que ce sera bon, trop bon.
(mon premier article dans Le Monde, il y a un an, traduit en anglais en plus, je crois que j'ai mis deux semaines à m'en remettre) (à la fin il valait mieux d'ailleurs, que je m'en remette, parce que plus personne ne pouvait me saquer dans mon entourage) (je vous rassure en fait à chaque fois que je vois ma signature dans un journal j'ai encore cette joie de gamine devant le sapin de Noël. C'est à ça que je vois que j'ai trouvé ma voie.)
Quant au meilleur parcours académique pour y parvenir, c'est cliché mais clairement faire un IEP n'est pas une mauvaise idée, ça permet de s'ouvrir à pas mal de thématiques, de prendre l'habitude de structurer sa pensée, de rédiger, de parler en public, etc. Et l'école de journalisme n'est pas inutile non plus, même si le métier est l'un des rares encore que l'on peut apprendre sur le tas. La meilleure selon moi c'est l'ESJ de Lille, dont j'ai magistralement raté le concours il y a bien longtemps de ça. Le CFJ - que j'ai intégré en formation continue pour ma part (autrement dit pas la voie royale) -, l'école de Sciences-Po paris, le CUEJ de Strasbourg, sont aussi de très bonnes boutiques. En tout, une douzaine d'écoles sont reconnues par la profession, ce qui leur confère un certain gage de qualité. Et puis il y a les autres qui sont selon moi des fabriques à chômeurs. Honnêtement, je ne comprends pas bien qu'on continue à autoriser la création de nouvelles écoles quand on connait l'état du secteur. Mais en même temps, je sais aussi une chose: je ne changerais de métier pour rien au monde.
Alors voilà, si vraiment vous n'avez pas changé d'avis, lisez, lisez beaucoup, de journaux, de livres, de BD, même. Lisez, écoutez, posez des questions. Tentez la voie académique classique et si vous avez une vocation sur le tard, et bien ne lâchez pas l'affaire, proposez des sujets aux journaux qui vous font rêver et foncez.
C'était long et je ne suis pas certaine que vous ayez été bien nombreux à lire jusqu'au bout, mais voilà, pour ceux et celles qui s'interrogeaient, j'espère que ça a peut-être répondu à quelques questions. Je me ferai un plaisir de donner des précisions dans les commentaires à qui voudra.
Mais en gros si je résume les grandes idées:
- Il faut être très motivé
- Il faut aimer soi même lire les journaux
- Il faut faire des études plutôt généralistes et si possible une école, ne serait-ce que pour le réseau qu'elle permet de se constituer
- Il faut être conscient qu'on commence rarement avec un CDI au Monde.
- Il faut faire une croix sur l'ISF, on le paie rarement à moins de s'appeler PPD.
- Il faut être prêt à supporter les ego surdimensionnés, ils sont légion dans la profession.
Promis demain je parlerai maquillage. Ou pas.